H2O : Quelles conséquences pour les investisseurs ?
Publié le 01/09/2020 - Jean-François BayRetour sur une crise qui dure depuis plusieurs mois maintenant
Dès le mois de juin 2019, la société de gestion H2O AM avait déjà défrayé la chronique lorsque le Financial Times avait publié via son blog Alphaville un article soulignant le caractère illiquide des fonds gérés par H2O AM, société de gestion qui a mis pourtant la liquidité au coeur de sa stratégie et de son image. Quantalys avait souhaité en savoir plus et avait alors interviewé le fondateur de la société, Bruno Crastes (cf article Quantalys du 21 juin)
Dans cet entretien publié sur Quantalys, Bruno Crastes affirmait à l’époque qu’il n’y avait « pas de problèmes de liquidité dans l’immédiat pour nos fonds ». Il assurait « être en capacité de faire face à des sorties de l'ordre de 1 à 2 milliards d’euros par jour». Toujours selon lui, « les sorties sur les obligations illiquides seraient donc dans ce cas de l’ordre de 40 à 50 millions d’euros par jour soit un niveau acceptable par le marché et par des investisseurs institutionnels en particulier ».
Quantalys avait décidé de sortir les fonds H2O de ses portefeuilles modèles par mesure de précaution. Dans un article paru quelques jours après l’interview, le 25 juin 2019 précisément, les équipes en charge de l’analyse des fonds chez Quantalys concluait alors « Conscients que nos portefeuilles modèles peuvent être répliqués librement, nous avons pris la décision, dans ce contexte exceptionnel, d’enlever les fonds H2O AM des univers d’investissement en attendant que la situation se stabilise ».
Comme nous le rappelions à l’époque : « il est important de rappeler que ce sujet arrive dans des conditions normales de marché et qu’il n’y a pas de risque systémique pour le moment. Il ne s’agit que d’un sujet micro-économique lié à une société de gestion. Ce sujet vient rappeler l’importance de la bonne adéquation des actifs avec les passifs des investisseurs et d’autre part la vigilance des conseillers financiers à respecter les objectifs et contraintes de risques des clients finaux. ». Le problème était à l’époque micro-économique et se déroulait dans des marchés financiers qui fonctionnaient normalement. Ça c’était avant l’arrivée de la crise du COVID-19 !
Une crise micro-économique exacerbée par la crise systémique liée au COVID-19
En mars dernier, la panique s’est emparée des marchés financiers et n’a épargné aucune classe d’actifs avec des baisses exceptionnelles sur un mois. Dans ce contexte, quasiment tous les fonds diversifiés ont délivré des performances négatives. Seule la société de gestion H2O AM s’est distinguée avec des contre-performances exceptionnellement élevées (jusqu'à -80% pour certains d'entre eux).
Quantalys avait donc voulu en savoir plus et comprendre les raisons de ce comportement aussi atypique pour des fonds diversifiés UCITS liquides tous les jours et distribués auprès d’investisseurs particuliers (marché cible). Cette analyse complète avait été publiée le 23 mars 2020.
Nos conclusions dans cet article étaient claires : « il nous semble que la stratégie du gérant visant « la performance à tout prix » lui a fait sans doute oublier qu’il gérait des fonds de droit français agréés par l’AMF (dans une classification « Diversifiés » pour le fonds H2O Multistratégies), commercialisés auprès d’épargnants individuels non avertis, avec une obligation de moyen en ce qui concerne la diversification et le contrôle des risques des fonds et ayant une horizon de placement court (4 ans). Il ne faut pas confondre fonds diversifiés et warrants, CFDs ou produits complexes à levier. Cette erreur risque d’avoir des conséquences lourdes sur la société de gestion à moyen terme. »
Rappelons ici, pour être tout à fait complet, que Quantalys continuait de calculer des notations quantitatives sur les fonds H2O AM et sur la société de gestion. Mais les fonds H2O AM n’apparaissaient plus dans les portefeuilles modèles Quantalys et ne ressortaient plus des pré-sélections effectuées par nos algorithmes dans nos outils de construction de portefeuilles en raison de la dégradation progressive du couple rendement/risque des fonds. Comme quoi des fonds quantitativement bien notés a priori peuvent être victimes d’une erreur de gestion. Il convient donc de rester vigilant sur la diversification d’une allocation, surtout lorsque l’on sélectionne des fonds plus risqués et moins liquides, vigilance qui doit être redoublée dans les contextes difficiles sur les marchés. (N’hésitez pas à relire notre article sur ce sujet)
Aujourd’hui, une nouvelle étape avec la suspension des fonds par le régulateur
L’AMF vient de confirmer avoir demandé à la société H2O Asset Management LLP la suspension des souscriptions et des rachats des parts des OPCVM afin de préserver l’intérêt des porteurs de parts et du public :
Le régulateur prend acte de la décision du gestionnaire de suspendre ces 3 fonds et d’étendre cette suspension à 5 autres fonds de sa gamme comme l’indique la société de gestion dans son communiqué de presse.
Ces 5 autres fonds sont :
- H2O Adagio
- H2O Moderato
- H2O MultiEquities
- H2O Vivace
- H2O Deep Value (FIA)
Quelles conséquences pour les investisseurs
La société de gestion précise que ces suspensions sont effectuées à titre provisoire pour une période estimée à environ quatre semaines. Pendant cet intervalle de temps, H2O AM poursuivra la gestion tout en organisant, pour les OPCVM ci-dessus, le cantonnement des titres «privés». Les autres actifs seront transférés dans un nouvel OPCVM conservant la même stratégie d’investissement initiale. Ce nouvel OPCVM, qui devra faire l’objet d’un agrément de l’AMF, aura donc les mêmes caractéristiques financières et juridiques, les mêmes codes ISIN et s’appuiera sur les mêmes acteurs (i.e. société de gestion, dépositaire, commissaire aux comptes…).
Une fois ces opérations réalisées, chaque investisseur détiendra des parts d’un fonds identique au fonds initial, mais sans les titres «privés». Ce fonds aura le même nom suivi des lettres « FCP ».
Au total, selon nos informations, la société de gestion H2O AM gérait au 31 août 2020 23 fonds et plus de 12 milliards € d’actifs, dont la grande majorité sont concernés par cette suspension. Plus de la moitié concerne les fonds H2O Multibonds (3,3 milliards €), H2O Adagio (3,7 milliards €) et H2O Moderato (1.2 milliard €).
La société de gestion va donc devoir dédoubler les fonds suspendus pour loger les titres « illiquides ». L’investisseur détiendra donc également des parts du fonds cantonné dont l’objectif sera de céder ces titres, dans le meilleur intérêt des investisseurs, soit dans le cadre dudit contrat Evergreen, ou par tout autre moyen.
L'incertitude porte sur la valorisation de ces « junk funds » composés des titres liés à Lars Windhorst. L’incertitude porte également sur la réaction des épargnants ayant souscrit à l'un des fonds en question et qui vont se retrouver avec deux lignes en portefeuilles et qui devront faire preuve de patience avant de pouvoir récupérer tout ou partie de leurs capitaux !
En ce qui concerne la valorisation pendant cette période de transition, depuis le lundi 31 août 2020, la société de gestion publiera des valeurs liquidatives (VL) estimées sur les parts des fonds concernés par la suspension.
Dans la base de données Quantalys, la mention « Part fermée à la souscription » apparaitra dorénavant sur la fiche Quantalys de ces fonds. Par ailleurs, les fonds H2O AM n’apparaissent plus dans les portefeuilles modèles Quantalys depuis très longtemps.
Conclusion
Même si cet épisode reste cantonné à la société de gestion H2O AM, il illustre les difficultés de liquidité de certains fonds investis sur des stratégies peu liquides (Crédit, High Yield, stratégies alternatives utilisant du levier, private debt, private equity, immobilier, Small – Micro Caps…) durant les crises économiques et financières (défaut, faillite, panique….). Alors que la crise du COVID-19 n’a toujours pas dévoilé toutes ses conséquences, notamment économiques, nous attirons l’attention des conseillers financiers et des investisseurs sur la liquidité des sous-jacents de leurs fonds. Selon le Comité Européen du Risque Systémique (ESRB), ce sont surtout les fonds d’obligations d'entreprises et les fonds immobiliers qui sont les plus vulnérables dans les conditions actuelles de marché. Ce sont d'ailleurs eux qui ont constitué l'essentiel des suspensions en Europe depuis le début de l'année.