Biodiversité : La prochaine grande thématique ?

Publié le 09/08/2021 - Jean-François Bay
Tous les financiers se focalisent sur le changement climatique et sur les leviers d’action mais très peu appréhendent les changements sur la Nature et la Biodiversité.

La création en juin dernier du nouveau groupe de travail mondial TNFD "Taskforce on Nature-related Financial Disclosures" peut-elle changer la donne ? Avec l’Article 29 publié en mai 2021, est-ce que la France est en pointe sur ces sujets ? Est-ce que l’industrie de la gestion va s’emparer de ce thème vital ?
 

A l’heure où le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) publie son dernier rapport sur les changements climatiques, et que les feux de forêt se multiplient, tout le monde se focalise logiquement sur le climat et essaye d’identifier les leviers d’action dans sa sphère d’influence : leviers et changements à mettre en place au niveau individuel, au niveau des entreprises, au niveau des investissements, au niveau des Etats …
Pourtant, très peu évoquent les changements sur la Biodiversité et leurs conséquences vitales sur l’homme. Tout le monde connait maintenant le GIEC mais personne ne connait l’IPBES, la Plate-forme Intergouvernementale sur la Biodiversité et les Services Ecosystémiques (IPBES), l'équivalent de ce qu'est le GIEC pour le Climat !
Comme l’indique Bruno David, paléontologue et biologiste marin, dans son dernier livre « A l'Aube de la sixième extinction, comment habiter la Terre ? », aux éditions Grasset « nous ne sommes rien sans la biodiversité, sans ce tissu vivant de la planète dont nous faisons d'ailleurs partie. Nous sommes dépendants des services écosystémiques qu'elle nous rend : on ne se nourrit que du vivant, on ne peut pas digérer sans les bactéries intestinales, on respire grâce au plancton et aux végétaux…  Si le plancton océanique basculait dans un autre équilibre et cessait de nous fabriquer de l'oxygène, nous aurions moitié moins d'oxygène, ce serait dramatique »
L’industrie de la gestion illustre bien ce manque de prise de conscience pour la Biodiversité : Quantalys dénombre plus de 150 fonds Actions orientés vers l’Environnement en général et beaucoup de fonds thématiques : 24 fonds sur l’Eau ou « Water », 23 fonds sur les Energies renouvelables ou « New Energy », 20 fonds sur l’ Agriculture bio et l’Alimentation ou « Smart Food »... Mais très très peu directement orientés sur la thématique Biodiversité ou « Ecosystem Restoration ». 
 
Quelques rares initiatives de l’industrie financière aujourd’hui
 
En effet, seules quelques rares initiatives existent comme par exemple :
 
Le fonds ouvert lancé en juin 2021 par BNP Paribas AM « BNP Paribas Ecosystem Restoration » (code ISIN LU2308191738) :
 
Le fonds BNP Paribas Ecosystem Restoration investit dans des sociétés cotées à l’échelle internationale, toutes capitalisations confondues, qui proposent des solutions environnementales contribuant à la restauration des écosystèmes par le biais de leurs produits, services ou processus à travers trois thèmes principaux :
  1. Les écosystèmes aquatiques : contrôle de la pollution de l'eau, traitement de l’eau et infrastructures hydrauliques, aquaculture, systèmes d'irrigation efficients et solutions de contrôle des inondations ;
  1. Les écosystèmes terrestres : technologies relatives aux semences agricoles, agriculture durable, sylviculture et plantations durables ;
  1. Les écosystèmes urbains : services environnementaux, immeubles verts, recyclage, gestion des déchets et modes de transports alternatifs.
Ce fonds contribue en outre à la réalisation de six Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies, dont l’Objectif n°15 « Vie Terrestre ». Comme l’indiquent les co-gérants du fonds Edward Lees et Ulrik Fugmann :
« La moitié du PIB mondial dépend du capital naturel. Or ce dernier est consommé 1,75 fois plus rapidement que la vitesse à laquelle la Terre peut le régénérer. La croissance démographique mondiale tout comme la hausse des revenus des ménages entraînent une augmentation de la demande, d’où un besoin urgent de restaurer les écosystèmes endommagés. Convaincus que le secteur financier a un rôle essentiel à jouer dans la création d'un impact environnemental positif, nous sommes fiers d'avoir lancé BNP Paribas Ecosystem Restoration pour soutenir les efforts des Nations Unies et d'autres initiatives dans ce sens. » 
 
Les fonds de Private Equity gérés par Mirova Natural Capital :
La société de gestion propose d’investir dans des solutions fondées sur la Nature. Elle propose 6 stratégies d’investissement et gère 500 millions d’euros. Concrètement, ces investissements visent à protéger, gérer de manière durable et restaurer les écosystèmes, tout en apportant du bien-être humain et des bienfaits sur la biodiversité. Il s’agit par exemple d’investir dans la reforestation, l’agriculture durable, la conservation des océans, la restauration des terres dégradées…
 
Initiatives publiques comme CDC Biodiversité
L’institution CDC Biodiversité est une filiale à 100% de la Caisse des Dépôts. Son rôle est d’identifier et de développer des leviers économiques pour financer la préservation et la restauration de la nature en France. En tant qu’investisseur et facilitateur, l’institution facilite les actions visant à la mise en œuvre de mesures compensatoires en proposant des terrains pour lesquels elle dispose de la maîtrise d’usage. CDC Biodiversité finance la conception, l’aménagement ou l’adaptation d’espaces extérieurs dans des opérations de grande envergure.
 
Une mobilisation des financiers qui devrait s’accélérer demain
 
Le 5 juin dernier, à l’occasion du G7, un nouveau pas important a été effectué pour la finance durable avec la création du nouveau groupe de travail mondial « Biodiversité et institutions financières » ou "Taskforce on Nature-related Financial Disclosures" (TNFD).
En effet, les ministres des Finances du Groupe des Sept (G7) des plus grandes économies ont approuvé le lancement de ce nouveau groupe de travail sur les engagements des financiers en faveur de la Nature et de la Biodiversité.
Concrètement, le TNFD est une nouvelle initiative mondiale qui vise à fournir aux institutions financières et aux entreprises une image complète de leurs risques et opportunités environnementaux. Le TNFD fournira un cadre permettant aux organisations de signaler et d'agir sur l'évolution des risques liés à la Nature et la Biodiversité en s'appuyant sur le succès du Groupe de travail en faveur du Climat (TCFD).
 
Le TNFD sera dirigé par deux coprésidents, Elizabeth Maruma Mrema, secrétaire exécutive de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (CDB) et David Craig, ancien PDG de Refinitiv et auparavant Chef de groupe de la division Data & Analytics du London Stock Exchange Group (LSEG) .
Elizabeth Mrema, a déclaré : « L'approbation du G7 devrait être reconnue comme vitale et un signal clair aux entreprises mondiales et aux gouvernements de la nécessité d'une action urgente pour arrêter la perte de la Nature et de la Biodiversité. La Nature décline à des rythmes jamais vus dans l'histoire de l'humanité, ce qui pose des risques sans précédent pour les entreprises et les institutions financières, le moment est donc venu de prendre des mesures décisives pour assurer un avenir durable. »
Saluant l'approbation du G7, David Craig a déclaré : « La perte de Biodiversité et de Nature est une crise mondiale. Les gouvernements ont un rôle central à jouer pour aider les marchés financiers à faire face à cette urgence, nous sommes donc ravis que le G7 ait appuyé le TNFD. »
Il a ajouté : « Les lacunes dans les données empêchent actuellement les institutions financières d'évaluer leurs risques liés à la nature, et donc une meilleure information accélérera la compréhension de ces problèmes et soutiendra une évolution des flux financiers mondiaux plus en faveur des résultats positifs pour la Nature. "
Le TNFD veillera à ce que le cadre développé soit exploitable et accessible aux entreprises et aux institutions financières, et s'appuie sur la recherche et l'innovation de pointe de toutes les régions.
 
A ce jour, plusieurs sociétés de gestion soutiennent les travaux du TNFD comme par exemple :
 
Impax Asset Management
- Manulife Investment Management
-
 
Les financiers français en pointe sur la Biodiversité avec l’Article 29
 
Le décret d’application de l’Article 29 de la loi Énergie et Climat a été publié le 27 mai 2021. Avec ce texte, la réglementation française, tout en s'inscrivant dans le cadre de reporting européen, va plus loin dans ses exigences en matière de reporting environnemental et climatiques de la part des investisseurs. Il permet à la France de garder son avance pris lors de la mise en place de l’Article 173 (auquel l’Article 29 va se substituer). Ce décret apporte un degré de précision important sur les informations que devront fournir les financiers français, société de gestion de portefeuilles, investisseurs institutionnels… au sein de leur reporting ESG.
 
La mise en œuvre de l'Article 29 en France sera séquencée, les institutions financières devant divulguer comment elles identifieront, hiérarchiseront et géreront les risques liés au Climat et à la Biodiversité à partir de 2022 (couvrant l'exercice 2021). À partir de 2023, elles devront étendre leur reporting pour inclure, entre autres indicateurs, la part des financements en cours alignée sur la taxonomie de l'UE.
 
Comme l’a déclaré Michèle Lacroix, Head of Group Investment Risk & Sustainability chez SCOR : « Pour le Climat, nous savons quoi faire maintenant, mais pour la Biodiversité, on ne sait toujours pas comment nous devrions évaluer notre empreinte. Que mesurons-nous ? Et comment le mesure-t-on ? Il n'y a pas de réponse standardisée à ces questions.»
 
Cette nouvelle réglementation française illustre le besoin urgent de standardiser les données, les métriques et les méthodologies liées à la Nature et la Biodiversité. L'inclusion de la biodiversité dans ce nouveau règlement donne également le coup d’envoi d’un changement plus large dans le secteur financier : le risque climatique n'est plus le seul risque environnemental à recevoir une attention particulière.
 
Comme l’a déclaré Sylvain Vanston, Group Head of Climate Change and Biodiversity chez AXA : « Nous considérons le défi de la Biodiversité comme un prolongement naturel de nos efforts climatiques et la prochaine frontière de la finance durable »
 
Avec cette prise de conscience au niveau mondial, à la fois de nos gouvernants et des investisseurs individuels et institutionnels, la Biodiversité devrait être la prochaine grande thématique pour l’industrie de la gestion à côté de la thématique Climat. On devrait voir ainsi se multiplier les initiatives et les lancements de fonds mais aussi les fléchages vers des sociétés cotées en Bourse permettant d’investir dans de nouvelles opportunités : la reforestation, l’agriculture durable, l’aquaculture, les océans, la restauration des terres dégradées…
 
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Jean-François Bay , Directeur Général, Développement international.