Une nouvelle Europe de la gestion dans un Monde nouveau ?

Publié le 03/09/2021 - Jean-François Bay
Lors de l’Université d’été de l’Asset Management, Jean-François Bay, Directeur Général chez Quantalys, a apporté des précisions sur les dynamiques de l’industrie de l’Asset Management dans le monde, sur la place de l’Europe depuis la crise sanitaire et sur les enjeux futurs de ce secteur face aux défis à relever : Technologiques, climatiques, démographiques …
Asset Management : Panorama mondial et forces en présence
 
Au niveau mondial, selon l’OCDE, l’industrie de l’Asset Management au niveau mondial gère plus de 100 trilliards d’encours à fin 2020 soit une part de marché de 36% vis-à-vis de l’ensemble des capitaux gérés dans le monde (proche de 300 trilliards € si l’on additionne l’ensemble des actifs gérés par les Fonds de pension, les institutions publiques, les fonds souverains, la gestion de fortune, les investisseurs individuels…). Cette part de marché de la gestion collective face aux investissements effectués par les différents investisseurs en direct ne cesse de croître sur 15 ans avec une dynamique de croissance +173% soit une croissance significative des actifs de +8% par an ! Autrement dit, quand les investisseurs décident d’investir, ils ont plus tendance de confier leurs capitaux à des professionnels. Autre constat : la part gérée par les investisseurs individuels dans le monde (64%) est supérieure à celle gérée par des institutionnels (33%) et représente une source de forte croissance ces dernières années. En effet, les particuliers connaissent une forte croissance de leur épargne partout dans le monde alors que les investisseurs institutionnels et les institutions publiques ont parfois été en moins bonne forme (caisses de retraite, fonds publiques…). Parmi les 100 trilliards d’encours de la gestion collective mondiale, les fonds d’investissements captent 53% du stock (donc environ 54 trilliards €) et les mandats de gestion 47%. Les fonds connaissent une dynamique de croissance plus forte que les mandats, et au sein des fonds d’investissement, ce sont les segments des ETF et celui des actifs tangibles (fonds immobilier, fonds de private equity…) qui connaissent la plus forte croissance sur 15 ans de +333% et +233% respectivement.
 
Fund Management : La place de l’Europe
 
Si l’on fait une focus sur l’industrie des Fonds et ETF uniquement (soit près de 60 Trilliards € dans le monde) et que l’on met de côté les Mandats de gestion, on constate que cette industrie des Fonds, selon l’OCDE et l’EFAMA, est dominée par les États-Unis avec une part de marché de 48% (ou près de 30 Trilliards €) suivis par l’Europe avec 32% des actifs gérés dans le monde via des Fonds (ou 19 Trilliards €) puis la Chine avec 4% (ou 2.5 Trilliards €) qui connait une forte croissance ces dernières années et vient de passer devant l’Australie ou le Japon. Le marché nord-américain domine l’industrie par le fait que c’est une industrie plus ancienne et plus mature et également parce que la majorité des actifs gérés sur ce marché (55%) est gérée par des fonds Actions plus sensibles aux dynamismes de l’effet de marché et bénéficient d’un effet accélérateur quand les marchés croissent. 
En Europe, la répartition des actifs est bien plus diversifiée qu’aux USA avec 32% seulement des actifs gérés dans les fonds Actions, 22% dans les fonds Obligataires, 21% dans les fonds Allocation et 8% par des fonds Monétaires. 
Rapporté au PIB mondial, le poids du marché de l’asset management par zone géographique, montre un pourcentage des actifs bien supérieur au PIB dans les pays développés comme les USA, l’Europe, l’Australie… Le marché nord-américain (USA + Canada) représente ainsi 50% du marché mondial de l’Asset Management pour 26% du PIB mondial (rapport du PIB d’un pays par rapport au PIB mondial). En Europe, les ratios sont de 33% des actifs gérés dans le monde pour 22% du PIB mondial. En revanche, en Asie, la Chine pèse 15,4% du PIB mondial mais seulement 4% des actifs gérés, illustrant la marge de progression de l’industrie de l’Asset Management dans cette zone demain !
En ce qui concerne l’Europe, on constate que la part de marché cumulée du Luxembourg et de l’Irlande atteint 14% de l’Asset Management au niveau mondial, bien loin de la somme du PIB de ces deux pays ! En fait, cet écart s’explique par le fait que ces pays sont aujourd’hui des plateformes administratives de gestion et de distribution des fonds UCITS pour l’Europe entière.
 
Les dynamiques de l’industrie en Europe dans la crise
 
En Europe, 50% du marché des fonds d’investissement environ est constitué par les célèbres fonds UCITS ouverts au public et distribués en Europe (fonds « cross-border »). L’autre moitié concerne les fonds dédiés, spécialisés, institutionnels… On retrouve donc près de 10 Trilliards € (ou 10 000 milliards €). En 2021, ce marché s’annonce comme très dynamique, stimulé à la fois par un effet de marché (+400 milliards € liés à la performance des marchés à fin juin) et un effet de collecte (+250 milliards € liés aux flux positifs à fin juin). Avec ces chiffres, 2021 apparait comme un millésime record pour l’industrie européenne en général et en terme de « mix-produit » avec une collecte record sur les fonds Actions qui captent les trois-quarts de la collecte. En effet, depuis la sortie de la crise et la sortie des vaccins (novembre 2020), on constate une collecte historique de +30 milliards d’euros par mois sur les fonds actions alors qu’habituellement les Actions collectaient en moyenne + 30 milliards d’euros par an. Cette collecte se fait au détriment des fonds monétaires et obligataires qui collectent moins tant en absolu qu’en relatif. 
Bizarrement, les investisseurs européens ne se tournent pas sur les fonds Actions Europe mais plutôt vers les fonds Actions Monde. En effet, on constate une décollecte de -26 milliards d’euros en fin juin 2021 sur la catégorie des fonds Actions Europe. Les investisseurs européens privilégient plutôt les fonds Actions Monde thématiques ou sectoriels qui captent 1 euro sur 2 de la collecte nette sur les Actions (+70 milliards €). La croissance de ce segment de marché est de + 80% sur un an en Europe.  Autre tendance : la collecte sur les fonds ISR (+86 milliards € en 2021) avec là encore plus d’1 euro sur 2 sur ces fonds ayant intégré une approche ESG !
Chose qui n’était pas arrivé depuis 10 ans : Depuis la sortie de crise, les investisseurs privilégient la gestion active voire très actives avec une collecte cumulée de +191 milliards sur les fonds actifs pour une collecte cumulée de +114 milliards sur les ETF et fonds indiciels depuis janvier 2020. Néanmoins, en termes de dynamique de croissance, les ETF continuent de gagner des parts de marché avec une croissance de 20%
Comme indiqué précédemment, les investisseurs européens privilégient les fonds ISR. En effet, plus d’un euro sur deux est investi sur les fonds ISR. Les investisseurs veulent des fonds plus impactant, c’est-à-dire des fonds articles 8 ou 9, plutôt que les fonds non-ISR ou moins impactant (Article 6).  En effet, depuis 2020, deux tiers des flux vont vers les fonds ISR avec un avantage pour les plus impactant (Article 9). C’est pourquoi les sociétés de gestion proposent de plus en plus de fonds impactant et plus granulaires. La réglementation telle que SFDR pousse les réseaux de distribution à réagir en conséquence. Les États, les banques centrales, les gouvernements ou les universités se sont emparés du sujet et martèlent l’importance de l’ISR. 
Pendant la crise, les acteurs européens ont eu tendance à privilégier les gérants globaux. Mais, depuis la reprise en novembre 2020, en termes de dynamique de croissance, les investisseurs européens se sont rapprochés auprès des gérants régionaux et locaux. Néanmoins, les investisseurs européens favorisent toujours les grands gérants mondiaux avec une croissance de 8%. Les collectes sur les gérants locaux concernent plutôt les collectes sur les fonds France Relance. Sur les fonds européens, les fonds thématiques sont favorisés. Mais, globalement, ce sont les acteurs globaux qui attirent le plus de capitaux (soit 70% de la collecte).
 
2021 : Les gérants américains raflent la mise, posant la question de la souveraineté européenne de l’écosystème financier
 
Depuis le début de l’année 2021, on remarque une exacerbation de la domination des États-Unis. En effet, les trois premiers collecteurs en Europe sont : BlackRock, J.P. Morgan et Vanguard (pour 17%, 8% et 8% de la collecte globale en Europe respectivement). 
En dynamique de cross-border UCITS pour le premier semestre 2021, on constate une collecte de plus de 300 milliards d’€ avec la majorité de la collecte se retrouvant sur les fonds luxembourgeois (+180 milliards d’€) et une décollecte pour les fonds domiciliés en France (-40 milliards)
Le marché européen est dominé par les gérants américains, surtout pour les ETF. Les acteurs américains dominent le marché européen sur les actifs gérés (près de 3 000 milliards en Europe), sur le nombre de fonds, sur les flux (en moyenne 171 milliards sur la période par an) et se positionne en troisième pour les fonds ESG en Europe derrière la France (avec 51% des fonds français sont ISR).
Le Royaume-Uni traine derrière en termes d’encours (654 milliards d’€) ou de collecte (8 milliards d’€). En revanche, les gérants suisses profitent des tendances en Europe avec un bon positionnement sur l’ISR (20% des actifs gérés), des actifs importants en Europe et un grand bassin de fonds (plus de 16 000 fonds). 
 
La question de la souveraineté de l’Europe se pose et quelles seront les conséquences sur l’industrie. En prenant l’exemple des parts de marché des ETF par fournisseurs d’indices en Europe, on retrouve 4 acteurs américains (FTSE, Russel, S&P, MSCI) pour 80-90% de parts de marché des indices obligations ou actions en Europe. Les normes comptables et financiers sont dictées par les États-Unis et la souveraineté des normes extra-financières et l’ESG sont à déterminer à l’avenir. Les acteurs sur les données et l’analyse sont anglo-saxons et américains (l’annonce de l’enquête de la fusion S&P Global et Markit ainsi que le rachat de NNIP par Goldman Sachs). Le marché européen doit prendre conscience de ces questions (accès aux données, les indices et les normes). 
 
Conclusion : Les 10 enjeux futurs pour l’industrie de la gestion
 
1. La monté en puissance du Retail face aux institutionnels : la dynamique des investisseurs individuels, les unités de compte, les fonds, la distribution de fonds via des plateformes online …  
2. La digitalisation de l’industrie, de la data et de l’analyse pour aider les décisions d’investissement est à surveiller. 
3. La « goal-based investing » : il existe des investisseurs individuels qui se posent des questions sur leurs horizon de placement et leurs objectifs. Il s’agit plus d’une approche solution plutôt qu’une approche produit (gestion pilotée, par exemple).
4. L’impact investing : l’ISR prend une place plus importante dans l’investissement à long terme par le développement de nouvelles réglementations (SFDR) et normes.
5. Thematic investing : une adhésion plus facile des investisseurs finaux aux mega-trends et mutations de long terme si le gérant arrive à identifier les grandes tendances telles que le vieillissement de la population, la sécurité, l’intelligence artificielle, le climat… qui sont autant d’opportunités d’investissement
6. Equity : ue financement en fonds propres sera plus important et plus adapté au développement des entreprises futures que le financement par la dette. 
7. Les ETF : une croissance importante des ETF, outil de gestion plus adapté aux plateformes digitales et aux mouvements tactiques (plus de 20% de croissance depuis janvier 2020).
8. Le yield des actifs tangibles illiquides : pour les investisseurs qui peuvent capter la prime d’illiquidité, la recherche des actifs tangibles et la recherche de rendement corrélé à l’inflation devrait rester forte. 
9. L’éducation : l’importance de l’éducation et de la pédagogie si l’on veut que les investisseurs finaux adhèrent, orientent leur épargne liquide pas rémunéré vers les investissements productifs et ne deviennent pas des Traders.
10. Les blockbusters : l’industrie de la gestion, comme l’industrie du cinéma, devient une industrie de la distribution nécessitant des ressources de plus en plus importantes et entrainant une concentration des acteurs. La création de marques bien identifiables par les investisseurs , notamment en B2C, semble être inévitable. 
 
3 bonnes nouvelles pour conclure cette analyse :
  1. On constate un stock d’épargne liquide non rémunéré très important en France, en Europe et dans le monde. En effet, la banque de France relève une épargne financière de précaution valant 1 648 milliards d’euros soit une épargne 2,3 fois plus haute que celle constatée en 1999. Aux États-Unis, le taux d’épargne des ménages est à un niveau historique (soit 27,6% du revenu disponible des ménages américains). En revanche, ces individus et investisseurs cherchent à investir à plus long terme de manière plus raisonnée. 
  1. On constate des taux d’intérêt durablement bas voire négatifs et un niveau d’inflation en hausse. Les investisseurs ont beaucoup d’épargne liquide mais perçoivent des rendements négatifs avec une inflation croissante supérieure à 5% aux USA ! Les investisseurs doivent donc se poser la question de leur épargne et se tourner vers des professionnels. 
  1. Transformation digitale de nos entreprises, transition climatique de nos économies, vieillissement des populations, relocations des industrie et chaines de production … Les besoins de financement sont colossaux partout dans le monde comme autant d’opportunités d’investissement. Depuis les vingt dernières années, les investisseurs européens ont manqué certaines tendances clés telles que la Tech ou bien la mondialisation. Cependant, pour les vingt prochaines années, les investisseurs européens devraient bénéficier de ces grandes mutations à venir et qui seront financées par les fonds d’investissement.


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Jean-François Bay , Directeur Général, Développement international.