ETF vs ELTIF, Global Players vs Niche Players… : La bipolarisation de l’industrie de la gestion se poursuit !

Publié le 07/06/2024 - Groupe Quantalys
Après une année 2022 mauvaise et une année 2023 de transition et de normalisation, comme se profile l’année 2024 ? Alors que la collecte sur le fonds en euros bat à nouveau des records, la part des Unités de Compte chute fortement sur 2024 à 35 % des flux en assurance-vie, alors que le point des UC avait atteint 41 % sur l’ensemble de l’année 2023 ! Comme le constate Quantalys, les investisseurs semblent frileux depuis le début de l’année avec des fortes collectes sur les actifs sans risque (monétaires, obligataires…) mais des flux de sorties élevés sur les actifs risqués (actions, diversifiés…). Comme expliquer cette défiance des investisseurs en Europe ? Dans ce contexte, comme s’en sortent les grands gérants mondiaux ou au contraire les petites boutiques locales spécialisées ? Alors que le changement climatique reste un vrai défi, comment expliquer les sorties records sur l’ESG ? Explications
  1. Fonds euros, Livret A… : Une épargne de précaution qui se porte bien

Sur les derniers chiffres de France Assureurs au 1er trimestre 2024, on note qu’en mars 2024 les cotisations en assurance vie enregistrent une hausse de 1 milliard d’euros, soit +7 %, pour atteindre +15,7 milliards d’euros sur un mois, un niveau record pour un mois de mars. Mais alors qu’elles augmentent de +17 % pour le compartiment en euros, elles reculent de −8 % pour celui en unités de compte (UC) ! Depuis le début de l’année, les flux sont en hausse de 6,2 milliards d’euros, soit +15 %, à +48,2 milliards d’euros, dynamique surtout portée par les supports en euros (+16 %). La part des cotisations en UC rechute donc fortement à 35 % des flux, alors que le point des UC avait atteint 41 % sur l’ensemble de l’année 2023. Aussi, Paul ESMEIN, Directeur général de France Assureurs précise : «Pour la première fois depuis novembre 2021, la collecte nette est également positive sur les supports euros ! »

De son côté, grâce à son taux de rémunération à 3 %, le Livret A, placement parmi les préférés des Français, redevient rentable. Ce produit d'épargne réglementée défiscalisé préserve leur pouvoir d'achat face à une inflation retombée à 2,3 %, sur un an, en mars. En mars, les épargnants ont ainsi placé 1,53 milliard d'euros sur leurs Livrets A, selon des chiffres publiés par la Caisse des Dépôts. Combinés à la collecte du LDDS (Livret de développement durable et solidaire), lui aussi rémunéré à 3 %, les montants épargnés en mars atteignent 2,44 milliards d'euros, et s'inscrivent ainsi dans la moyenne basse des collectes réalisées sur ce mois, depuis la généralisation de la distribution de ces produits en 2009. En janvier et en février, la collecte s'élevait encore à plus de 3 milliards d'euros.

Selon le dernier baromètre publié par IPSOS intitulé « Les Français, l'épargne et la retraite», et pour la deuxième année consécutive, les livrets sont vus par les Français comme les meilleurs produits d’épargne, loin devant les assurances-vie. Et la préparation de la retraite occupe une place de plus en plus importante depuis deux ans dans les raisons de détenir un produit d’épargne, devant le risque de dépendance et le soutien financier à la famille. Mais paradoxalement, c’est le Livret A qui est le meilleur produit d'épargne pour préparer sa retraite. Un quart des Français (24%) le positionne en effet en tête, devant le Plan d’Epargne Retraite (23%) et l'assurance vie (21%), deux produits bien plus indiqués pour financer la fin de sa vie active.

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  1. Une collecte faible sur 2024 pour les fonds et en faveur des actifs sans risque

Lorsque l’on analyse les flux de collecte nette (hors effet de marché) sur les fonds distribués en Europe, on constate que l’année 2024 a attiré peu de capitaux depuis le début de l’année. Le millésime 2024 s’apparente à ce que l’on a connu en 2023 avec une forte collecte nette sur les actifs sans risque (fonds Monétaires et Obligataires) et de fortes sorties sur les actifs risqués (fonds Actions et Diversifiés), loin de la moyenne historique depuis 2010 qui s’établit à +200 milliards d’euros nets environ par an.

 

 

En regardant les flux sur une plus courte période, et notamment depuis la crise du Covid, on s’aperçoit dans le détail que les flux négatifs sur les actifs risqués viennent principalement des fonds diversifiés alors que les flux sur les fonds Actions sont plutôt stables. En effet, sur les 2 dernières années, les fonds patrimoniaux dits « flexibles » auront décollectés de près de -200 milliards d’euros !

 

  1. Les Global Players et les Niche Players : La bipolarisation de l’industrie se poursuit

Alors que les flux semblent calmes sur la période récente sur les fonds Actions, cette accalmie cache en fait une bipolarisation extrême de la part des investisseurs en faveur des ETF Actions qui ont attiré près de 150 milliards d’euros sur 2 ans et ont sorti plus de 220 milliards d’euros depuis les fonds Actions actifs sur la même période.

 

 

Comme en 2023, on constate des flux importants sur les gérants Actions US, ETF Actions, Mega-Caps d’un côté… Dans un environnement de collecte très bipolaire, les fournisseurs d’ETF comme Vanguard, BlackRock, x-Trackers, State Street, Amundi ou UBS captent la majorité de ces flux, un peu à l’image de 2023.

En revanche, contrairement à 2023, on voit revenir des flux sur les gérants de stock-picking qui avaient été délaissés comme sur les approches Value, sur les Small Caps en Europe, sur les thématiques plus cycliques.

De la même façon, sur les catégories obligataires, sur des stratégies de niche sur l’obligataire « actives, spécialisées et flexibles » , les bond-pickers retrouvent des flux sur des approches de convictions comme Groupama AM, DNCA, OFI Invest, Rothschild & Co, CM-CIC AM, Tikehau Capital, Sienna IM ou encore Schelcher Prince.

 

  1. Le calme sur les flux n’est pas expliqué par l’effet performance qui reste dans l’ensemble plutôt bon sur 2024

Pour un investisseur européen, alors que les performances sont honorables sur les marchés actions depuis le but de l’année 2024 et en ligne avec le millésime 2023 (+10% à fin mai), en revanche les performances sur les fonds obligataires et sur les fonds diversifiés déçoivent et sont parfois négatives à ce stade, loin de +6% de 2023. L’année 2023 calme sur le plan de la collecte avait été sauvée par un effet performance sur les fonds très positif sur l’ensemble des classes d’actifs. En revanche, l’année 2024 calme également sur la collecte nette ne bénéficie pas pour le moment d’un effet de marché positif pour de nombreuses catégories comme les Obligations et les Allocations.

Sur les Actions, la forte dispersion constatée sur 2023 par zone géographique (Etats-Unis vs Chine) , par style ou par segment de marché (Large Caps vs Small Caps) s’est estompée sur 2024, tous les moteurs de performance sont au vert et dans un mouchoir de poche entre +6% et +10%. Il est important de noter que l’Europe fait jeu égal avec les Etats-Unis depuis le début de l’année pour un investisseur européen. Autre différence par rapport à 2023 : Les petites et moyennes valeurs font également jeu égal avec les grandes valeurs !

En analysant plus en détail la performance des fonds Actions par thématique et par secteur, on note que l’hégémonie de la Tech/Telecom constatée sur 2023 (+33%) s’est fortement calmée au profit de secteurs plus larges comme les Services Financiers ou l’Industrie. En revanche, les secteurs liés aux contrats de long terme comme l’immobilier, les Utilities ou même la Santé sont dans le bas du classement. Pour les investisseurs et les gérants, le scénario d’une baisse des taux forte, rapide et généralisée joué en 2023 a visiblement laissé la place à un scénario plus divergent et plus prudent de la part des Banques centrales.

Ce changement de paradigme est illustré par la performance des grandes catégories obligataires : alors que toutes les catégories étaient largement positives sur 2023, le risque de Taux subit les hésitations des Banques centrales et est dans le rouge depuis le début de l’année pour plusieurs catégories, impactant négativement par ricochet les fonds diversifiés et notamment les allocations les plus prudentes investies fortement en Taux.

 

  1. Les véhicules immobiliers toujours en difficulté

C’est le pire trimestre que le secteur de la pierre-papier ait connu depuis des années selon France SCPI si l’on se fie à la collecte nette. En effet, les flux de collecte sur les 3 premiers mois de 2024 représentent à peine 800 millions d’euros, très loin derrière les +2,1 milliards d’euros collectés en moyenne au cours du premier trimestre sur les 7 dernières années ! L’heure n’est donc plus à l’euphorie...

Bilan rendement année 2024 - 1er trimestre 2024 - France SCPI

 

 

 

  1. Les thématiques ESG au second plan, l’autre source d’inquiétude pour l’industrie de la gestion

L’autorité de marché européenne, l’ESMA, vient de durcir mi-mai les règles visant à encadrer les fonds répondant à des critères ESG et maintenant les sociétés de gestion n'ont que quelques mois pour se conformer à ces nouvelles lignes directrices sur l'appellation des fonds vraiment durables avec l’objectif de lutter contre le « greenwashing » en Europe (cf Guidelines ci-dessous).

Au même moment, pour répondre à ces nouvelles contraintes réglementaires, les entreprises cotées en Bourse et les sociétés de gestion ont investi massivement pour fournir des indicateurs extra-financiers très détaillés aux investisseurs (on parle de 1200 nouveaux points de données dans le cadre de CSRD).

Et pourtant, alors que la définition de ce qu’est un fonds durable se précise, la défiance vis-à-vis de la gestion durable aux Etats-Unis et en Europe n’a jamais été aussi forte ! Pour preuve la décollecte des fonds gérés selon des approches ESG depuis le début de l’année 2024 avec des investisseurs qui ont sorti -65 milliards d’euros rien que sur les fonds Actions ISR. 2023 avait amorcé ce mouvement de décollecte mais à un rythme relativement calme. En revanche, on voit que sur 2024 les sorties s’accélèrent vivement.

 

 

Cette défiance n’est pas due à la performance en Europe puisque les indices traditionnels et leur pendant en version ESG réalisent des performances très proches, voire légèrement à l’avantage de la version ESG ! En revanche, sur le marché américain, les écarts cette année sont en défaveur des indices ESG, expliquant les sorties sur le marché américain.

Dans un article récent paru dans le FT , le journaliste notait que les actifs du plus grand fonds ESG américain de BlackRock ont diminué de moitié, passant de 25 milliards de dollars au sommet fin 2021 à 12,8 milliards de dollars en mai 2024. L’année dernière, la société de gestion a même supprimé le fonds ESG de son populaire portefeuille modèle « 60/40 » d’actions et d’obligations.

"Les flux ESG aux États-Unis sont négatifs, et cela témoigne probablement de ce qui se passe dans le contexte américain, où le débat est très polarisé et politisé et qui a gelé les comportements sur ce front", a déclaré Elodie Laugel, directrice des investissements responsables. chez Amundi, qui est le deuxième gestionnaire de fonds durables au monde après BlackRock. Mais les données les plus récentes soulignent que le recul de l’ESG touche maintenant l’Europe, le bastion traditionnel de cette approche.

 

Comme un effet miroir, en face de ces sorties sur l’ESG, on note que sur la même période les investisseurs sont entrés massivement sur les thématiques non-ESG comme l’Industrie, la Tech, le Défense (+50 milliards d’euros sur les fonds non-ISR).

L’appétit des investisseurs mondiaux pour l’ESG, on s’en souvient, avait culminé fin 2021 juste avant que la Russie n’envahisse l’Ukraine, entraînant une flambée des prix du gaz et des stocks de combustibles fossiles. Les fortes hausses des taux d’intérêt par les banques centrales en 2022 pour lutter contre l’inflation ont, quant à elles, pénalisé les entreprises technologiques ou les thématiques ESG à forte croissance, qui sont généralement favorisées par les fonds ESG par rapport aux entreprises pétrolières et gazières.

Avec la fin de l’hyper-inflation et de baisse des taux des Banques centrales, peut être qu’une nouvelle ère plus favorable s’ouvre pour les thématiques ESG, sur des sujets qui resteront des mega-trends dans tous les cas.

  1. Un appel d’air pour l’industrie fin 2024 : la démocratisation des Private Assets

Autre évolution réglementaire : Publiée au Journal officiel le 24 octobre 2023, la loi industrie verte vise, parmi divers objectifs, à mobiliser davantage l’épargne des Français au profit d’une économie durable. Elle comporte en ce sens une kyrielle de mesures impactant directement l’offre de contrats d’assurance vie et de retraite.

Le compte à rebours a donc commencé pour les assureurs qui sont dans les « starting-blocks » pour adapter d’ici la fin de l’année leurs offres aux nouvelles exigences qu’induit cette nouvelle loi.

Ce texte a deux objectifs majeurs : D’une part de verdir les industries existantes tout en faisant de la France le leader des technologies vertes en Europe. Et d’autre part d’activer le levier du non coté. En effet, les deux arrêtés les plus polémiques restent d’une part la gestion pilotée profilée en assurance vie et de l’autre la gestion pilotée par horizon dans le PER. Tous deux prévoient des profils d’investissement « qui peuvent être qualifiés » de prudent, équilibré, dynamique et offensif, avec une part d’investissement minimum en non coté comprise entre 2 et 15 % (sauf pour le profil prudent en assurance vie) ». Un seul détail à ce stade : les nouveaux profils devraient être mis en place en 2025 plutôt qu’à la fin octobre 2024. A suivre …

Tous ces sujets feront l’objet d’un point complet lors de la prochaine Université d’été de l’Asset Management pour laquelle Quantalys est partenaire qui se tiendra le Jeudi 29 août 2023 à l'Université Paris Dauphine-PSL. N’hésitez pas à vous inscrire !

Pour vous inscrire à l’UeAM 2024 :

https://housefinance.dauphine.fr/fr/lueam/ueam-2024.html

https://my.weezevent.com/ueam-2024-11e-edition

Pour accéder au baromètre sur l’épargne publié par IPSOS en 2024 :

https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2024-02/ipsos-francais-epargne-retraite-2024-rapport-complet.pdf

Pour lire l’article paru récemment dans le FT sur les fonds ESG :

https://www.ft.com/content/cf9001ab-e326-4264-af5e-12b3fbb0ee7b

Pour accéder aux Guidelines publiés en mai par l’ESMA sur l’ESG :

https://www.esma.europa.eu/press-news/esma-news/esma-guidelines-establish-harmonised-criteria-use-esg-and-sustainability-terms

 

Groupe Quantalys Société.