Matières premières : pourquoi la baisse ?

Publié le 17/05/2011 - Opportunité
Benjamin Louvet, Directeur Général Délégué de Prim' Finance, revient sur les baisses récentes

Les cours de la plupart des matières premières ont fortement baissé depuis le début du mois de mai.

Benjamin Louvet, directeur général délégué de Prim' Finance, une société de gestion française notamment spécialiste des marchés de matières premières (voir ici les fonds matières premières de Prim' Finance sur Quantalys) revient sur cette baisse et la décrypte.

Quelles ont été les matières premières les plus affectées par la récente baisse ?

Les matières premières dans leur ensemble ont été touchées. Ce sont néanmoins l'énergie et les métaux qui ont subi les plus forts replis. En particulier, l’argent, le pétrole et l’essence. Les métaux de base, les produits agricoles et surtout l’or, ont plutôt mieux résisté.

Quels sont les facteurs expliquant cette correction ?

La prise de bénéfice a touché l’ensemble des matières premières en raison de la reprise du dollar. En effet, l’ensemble des échanges mondiaux étant libellés en dollar, la reprise du billet vert affecte le pouvoir d’achat des pays importateurs de matières premières et réduit leurs achats. Ce sont les craintes sur la situation européenne qui ont entraîné cette réappréciation de la monnaie américaine.

C’est également l’approche de la fin du plan de Quantitative Easing II (assouplissement quantitatif) aux USA qui a fait craindre une raréfaction de la liquidité sur les marchés et entraîné une réduction globale du risque.

Parallèlement, les chiffres des importations chinoises ont été décevants. La lutte contre une inflation qui ne faiblit que lentement pousse les autorités à utiliser les stocks stratégiques pour limiter l’impact de la hausse des prix domestiques. On a ainsi vu des chiffres en net recul sur les importations chinoises de cuivre ou de soja. Rappelons que sur ces deux produits comme sur la plupart des produits de base, la Chine est aujourd’hui dans le tiercé de tête de la consommation.

De manière plus spécifique, c’est ensuite la décision de remonter les deposits (sommes nécessaires pour pouvoir investir dans les contrats à terme) sur l’argent et sur les produits pétroliers qui ont obligé les investisseurs financiers à réduire leur exposition. La place new yorkaise a ainsi remonté 5 fois en deux semaines (+85%) les dépôts sur l’argent, avant de remonter également les sommes nécessaires à l’investissement sur le pétrole WTI et l’essence.

A cela s’est ajoutée la publication des premiers chiffres attestant du ralentissement de la demande de produits pétroliers. En Europe, la consommation a déjà ralenti, et outre-Atlantique, les importations pétrolières sont ressorties au plus bas de 11 ans ! Les Américains ont même commencé à exporter des produits raffinés. Alors que la « driving season » approche, et avec elle le pic de consommation d’essence aux USA, cela en dit long sur les anticipations des raffineurs sur la demande. Le département énergétique américain et l’Agence Internationale de l’Energie ont d’ailleurs revu pour la première fois depuis plusieurs mois leurs prévisions de consommation pour 2010 à la baisse.

Enfin, les déclarations de certains spécialistes des matières premières comme Goldman Sachs ou Eric Sprott pour l’argent, qui ont annoncé avoir pris des bénéfices, ont amené certains investisseurs à faire de même.

Les intervenants financiers sur les marchés à terme amplifient-ils la volatilité des cours ?

Cette question a été largement étudiée par les autorités financières. Les conclusions vont toute dans le même sens : de l’étude du FMI à celle du centre d’analyse stratégique, en passant par la très controversée étude de la commission européenne, rien n’a permis de mettre en évidence un quelconque impact des acteurs financiers dans la volatilité des matières premières. Christine Lagarde l’a elle-même reconnu dans une réunion de préparation du G20 des ministres des finances à Paris en février.

Crédit Suisse a, de son côté, réalisé une étude qui met en évidence une absence de corrélation entre les variations de positions des intervenants financiers et la variation des prix.

Rappelons par ailleurs que les intervenants financiers jouent un rôle dans les marchés de matières premières : ils assurent le transfert de risque en acceptant de reprendre les positions dont les intervenants de la filière physique ne veulent plus. Ils sont donc indispensables au bon fonctionnement du marché.

Toutefois, il est probable que l’intervention des financiers sur ces marchés ne soit pas totalement neutre, au même titre que celle des autres acteurs. Un durcissement de la réglementation serait donc plutôt une bonne chose, même si les marchés réglementés sont déjà bien encadrés. Ce sont donc surtout les marchés de gré à gré (OTC) qui devront être soumis à un contrôle plus strict. L’encadrement des entreprises de négoce, qui échappent aujourd’hui à toute réglementation, est également une priorité.

Enfin, et surtout, la limitation de la volatilité des marchés de matières premières ne pourra se faire sans des décisions politiques importantes. Cela nécessitera de repenser à des prix réglementés comme il en existait dans la PAC et qui ont été supprimés, de fixer des règles pour encadrer les suspensions d’exportation qui sont très déstabilisatrices pour les marchés, d’envisager la création de stocks stratégiques dans les zones les plus fragiles. La gestion de la production doit également être repensée.

Les conditions d’accès aux marchés à terme pour les intervenants financiers vont-elles continuer à se durcir ?

La régulation des marchés de matières premières est une priorité du G20 sous la présidence française. Il est donc plus que probable qu’une pression réglementaire sera maintenue.

Mais les moyens sont limités pour les autorités. En effet, un certain nombre de pays, dont le Brésil, ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils n’étaient pas favorables à de telles propositions. Qui plus est, les lobbys financiers font tout pour limiter de telles mesures.

Par ailleurs, il est nécessaire de considérer le marché comme un tout et de faire évoluer la réglementation sur l’ensemble des différents moyens d’investissement. Ainsi, sans réglementation des marchés de gré à gré et des entreprises de négoce, le marché risque de perdre en transparence et la réglementation sera alors contre-productive.

Est-il opportun de s’exposer aujourd’hui aux matières premières, si oui, auxquelles ?

Les matières premières constituent encore aujourd’hui un formidable gisement d’opportunités, à condition de respecter un certain nombre de règles. Tout d’abord, il est indispensable, étant donné la relation qui existe entre le dollar et le cours des matières premières d’investir dans des produits qui sont immunisés contre le risque de change, pour ne pas perdre d’un côté ce que l’on gagne de l’autre.

Ensuite, il importe de distinguer trois grands types de matières premières : l’or, les matières premières de croissance, très liées à la situation économique, et les matières premières agricoles dont l’évolution est essentiellement liée à la météo.

L’or, valeur refuge, est dans le contexte géopolitique actuel, et alors que les politiques monétaires du monde entier restent accommodantes et que le risque souverain est plus fort que jamais, un actif qui a encore de beaux jours devant lui. Qui plus est, la demande physique reste soutenue et l’investissement, tant des banques centrales que des investisseurs particuliers du monde entier, continue de progresser.

Nous sommes beaucoup plus prudents sur les matières premières de croissance, comme le pétrole, les métaux de base ou l’argent. L’absence de capacité de la Chine à maîtriser son inflation, le ralentissement du marché immobilier américain et la situation délicate en Europe nous font en effet craindre un ralentissement de la consommation de ces produits. Mais, sur le long terme, certains d’entre eux comme le pétrole présentent un potentiel énorme. De meilleures opportunités se présenteront sans doute dans quelques mois. On pourra ainsi surveiller les niveaux de 80-85$ le baril sur le pétrole.

Enfin, les matières premières agricoles présentent aujourd’hui un formidable potentiel. En effet, alors que les stocks sont déjà très tendus, les récoltes de cette année s’annoncent extrêmement compliquées, aussi bien sur le blé que sur le maïs ou le colza par exemple. Qui plus est, les pays en développement augmentent constamment leur consommation.

Quels sont les risques d’une exposition aux matières premières ?

Pour l’or, le risque majeur serait une remontée des taux justifiée par une confirmation de la reprise économique. Dans tous les autres cas, et notamment une remontée des taux du fait d’une crise de la dette, l’or devrait conserver tout son potentiel.

L’autre risque pour le métal jaune serait un ralentissement de l’investissement. Mais de ce côté-là, les derniers chiffres sont très rassurants.

Pour les métaux de base et le pétrole, c’est le ralentissement économique qui constitue le principal risque. Alors que la consommation marque déjà le pas dans les pays développés, tout ralentissement de la Chine ou des pays émergents pourrait entraîner une violente correction.

Pour les produits agricoles, le risque est celui d’une saison où les récoltes se passeraient sans incident. Mais, pour cette année, cela semble d’ores et déjà exclu. L’autre risque majeur serait celui d’une remontée du dollar. Mais cette remontée, pour être négative pour les matières premières, devrait être due à une amélioration de la situation américaine et non pas à une dégradation des autres monnaies. Car dans ce cas, les matières premières résisteraient mieux, et l’or, valeur refuge, pourrait même progresser.

Dans l’ensemble, ces risques semblent aujourd’hui assez éloignés, à l’exception du risque de rechute économique. L’or et les matières premières agricoles constituent donc les meilleurs paris à court terme. Le pétrole et les autres métaux auront leur place dans les portefeuilles d’ici quelques mois.

Il est également important de bien choisir son véhicule d’investissement. Préférez un fonds actif à un fonds indiciel, une exposition directe aux matières premières pour ne pas cumuler le risque avec un risque action, et faites bien attention à la nature des produits que vous achetez. Les certificats présentent ainsi un risque de contrepartie supérieur à un OPCVM.

Les matières premières devraient donc s’imposer comme un élément central de la gestion de portefeuille dans les années à venir, avec une part dans l’allocation de portefeuille qui pourrait atteindre 10 à 15%.