Décrypter les frais des fonds (1/3)

Publié le 09/02/2014 - Philippe Maupas
Plus les frais sont élevés, moins la performance l'est : s'orienter dans un monde peu transparent

Grâce à l'industrie de la gestion d'actifs, les investisseurs accèdent à des expertises professionnelles leur permettant de s'exposer à de nombreuse classes d'actifs, zones géographiques, secteurs et styles. Cette expertise a une valeur légitime et donc un coût pour l'investisseur.

Malheureusement, les frais des fonds ne sont pas explicites et pour les comprendre, il faut lire un document souvent aride mais dont la lecture est indispensable : le prospectus. Et dans son petit frère, un peu moins austère, le DICI (Document d'Informations Clés pour l'Investisseur).

Nous nous concentrerons sur les seuls frais de gestion et n'aborderons pas les frais de souscription et de rachat, qui servent généralement à rémunérer votre intermédiaire et pas la gestion.

Rappelons tout d'avord une évidence : à performance brute égale, moins les frais encourus par l'investisseur sont élevés, meilleure est sa performance nette. Problème : vous ne connaissez jamais la performance brute de votre investissement, mais sa performance nette, de laquelle les frais ont été déduits de façon invisible et indolore.

Trouver l'information sur les frais

Le prospectus est le document dans lequel vous trouverez une description détaillée de la structure des frais du fonds. Le DICI (Document d'Information Clés pour l'Investisseur) est le document mis à jour tous les ans dans lequel vous trouverez le total des frais effectivement facturés à chaque part du fonds lors du dernier exercice comptable clôturé. Problème : le niveau de détail des frais réels est moindre que celui fourni dans le prospectus.

Les exemples ci-dessous sont tirés de prospectus de fonds de droit français. Nous verrons dans un prochain article que l'information est nettement moins détaillée dans les prospectus des fonds de droit luxembourgeois ou irlandais.

► Les frais de gestion directs

Ces frais rémunèrent la société de gestion pour la gestion du fonds. Certaines sociétés de gestion y incluent quelques frais externes (commissaire aux comptes, avocats, dépositaire, distribution) qui n'ont à notre avis rien à y faire et gagneraient à être isolés pour permettre à l'investisseur de connaître le coût de la seule gestion.

Dans l'exemple ci-dessus, le fonds dispose de plusieurs parts (identifiées par des lettres (AC, BC, etc.), chaque part ayant un identifiant - son code ISIN - unique).

D'autres sociétés de gestion isolent les frais externes, comme dans l'exemple ci-dessous (on notera que la mention NA pour l'assiette des frais de gestion externes est incompréhensible, il faut bien qu'il y ait une assiette de perception pour ces frais, et on se demande comment ces frais - qui pour la plupart d'entre eux sont fixes - peuvent être proportionnels à l'encours).

 Les frais indirects

Un fonds peut être amené à investir dans d'autres fonds. Dans ce cas, il est exposé aux frais des fonds dans lesquels il investit, tant au titre de la souscription et du rachat (il peut alors être soumis - ce qui arrivera rarement car il est considéré comme un investisseur professionnel - à des frais de souscription et de rachat) qu'au titre de la gestion (les frais de gestion des fonds sous-jacents étant subis par le fonds qui les achète, moins les rétrocessions sur frais de gestion éventuellement négociées, lesquelles lui sont rétrocédées).

► Les commissions de mouvement

Voilà la maladie honteuse de la gestion française, dont on ne parle pas assez mais que, contrairement à notre fonction publique, notre sécurité sociale et nos autoroutes, le monde entier ne nous envie pas.

Ces commissions de mouvement sont perçues par la société de gestion et/ou le dépositaire du fonds lors de chaque achat (ou vente) effectué par le fonds. Alors que les frais de courtage ont déjà été payés aux intermédiaires utilisés par la société de gestion du fonds, l'investisseur va payer une deuxième fois, sans pouvoir connaître à l'avance le montant des frais qui lui sera facturé.

Il va donc rémunérer la société de gestion (ici à hauteur de 0,5% de l'actif net) et le dépositaire (admirez la précision : "barème selon place de transaction") pour des prestations qui ont déjà été payées et dont il n'est pas possible d'évaluer le coût à l'avance (sauf à lire le DICI, qui fournit une information passée).

Il est inadmissible qu'une partie des commissions de mouvement revienne à la société de gestion, celle-ci ayant alors une incitation financière directe à faire tourner le portefeuille du fonds, ce qui n'est pas nécessairement dans l'intérêt des porteurs de parts. Il nous semble également étrange que le dépositaire soit rémunéré par des commissions de mouvement pour une prestation qui devrait être comprise dans les frais de gestion directs.

Lisez donc avec attention le prospectus pour savoir si des commissions de mouvement existent. Si oui, c'est un mauvais point.  Regardez la répartition dépositaire/société de gestion : si la société de gestion perçoit des commissions de mouvement, alerte. Si elle n'en perçoit pas et que le dépositaire appartient au même groupe que la société de gestion, alerte : la marge est seulement transférée dans une autre entité du groupe, la société de gestion pouvant ainsi se prévaloir de ne pas toucher de commissions de mouvement.

► La commission de surperformance

Cette commission n'est pas systématique. Elle est versée sous condition : ici, il faut que la performance nette de tous frais (hors commission de surperformance bien entendu) soit supérieure à celle d'un indice de référence. Dans ce cas, la surperformance est partagée entre le porteur de part et la société de gestion (qui en récupère 20% dans cet exemple).

A nos yeux, une bonne commission de surperformance a les caractéristiques suivantes :

1. L'indicateur de référence utilisé pour le calcul de la commission de surperformance est représentatif de l'objectif et de la stratégie d'investissement du fonds et de la (des) classe(s) d'actifs utilisée(s) pour atteindre cet objectif.

2 Le pourcentage revenant à la société de gestion est au plus de 20% de la surperformance.

3. Les frais de gestion fixes sont significativement inférieurs à ceux de fonds comparables n'ayant pas de commission de surperformance. Nous voyons aujourd'hui trop de nouveaux fonds actions se lancer avec des frais de gestion fixes de 2,2 à 2,5% ET une commission de surperformance (et souvent, hélas, des commissions de mouvement).

4. Pour les fonds ayant un objectif de performance absolue, il existe un système de "high water mark" qui empêche le versement de la commission de surperformance tant que le fonds n'a pas dépassé sa précédente plus haute valeur liquidative.

► Total des frais sur encours (TFE)

Le TFE est égal à la somme des frais de gestion directs, des frais de gestion indirects et des commissions de mouvement. Calculé sur une base annuelle (l'exercice comptable du fonds), le TFE est fourni dans le DICI. Dans le cas d'un nouveau fonds n'ayant par définition pas d'historique, le TFE fourni est une estimation.

Les prospectus et DICI se trouvent sur le site des sociétés de gestion et, pour les fonds de droit français, sur le site de l'AMF (Autorité des Marchés Financiers, qui régule les sociétés de gestion françaises). Les titulaires d'une licence Quantalys Premium, Pro ou Pro+ y ont également accès sur notre site.

Chaque part de fonds a un DICI (alors que le prospectus  est un document unique pour toutes les parts d'un fonds). En effet, on doit y retrouver des données de performance et des informations sur les frais, qui sont par définition propres à chaque part.

Voici le dernier DICI de la part AC du fonds dont nous avons analysé le prospectus ci-dessus.

Les frais courants du dernier exercice comptable clôturé (la date de clôture étant indiquée dans la partie droite) sont fournis (ils sont ici de 5,35%), ainsi que le montant de la commission de surperformance quand elle existe et a été perçue (ici 0,17%).  La gestion du fonds a donc coûté à l'investisseur 5,52% lors de l'exercice clôturé le 31 décembre 2012 (c'est beaucoup, c'est même beaucoup trop).

On voit qu'il est impossible de comprendre comment on arrive à un TFE de 5,35%. Les frais de gestion fixes sont en effet de 2,5% maximum, les frais de gestion indirects également de 2,5% maximum et il existe des commissions de mouvement, dont une partie revient à la société de gestion, mais le DICI ne donne aucun détail sur la répartition.

Quel dommage ! L'initiative européenne d'imposer un document standardisé (le DICI) pour permettre la comparabilité de tous les fonds entre eux était louable, mais l'investisseur y a perdu en transparence sur les frais. Et ce d'autant plus que le taux de rotation du portefeuille ne figure pas parmi les mentions obligataires du DICI, alors qu'il s'agit d'une information essentielle pour prendre une décision d'investissement informée.

Heureusement, il est possible d'avoir une idée approximative du niveau des commissions de mouvement dans certains cas, notamment pour les fonds n'investissant pas dans d'autres fonds.

Voici l'exemple d'un fonds Actions Japon de droit français. Son prospectus nous indique que les frais de gestion fixes de la part C s'élèvent à 2% maximum et que des commissions de mouvement peuvent être perçues (lesquelles reviennent à la société de gestion pour 50 à 100%). Parmi les curiosités, on notera que l'encaissement de coupons peut coûter jusqu'à 5% du montant de ceux-ci (hors TVA). Les revenus de placements sont décidément maltraités à la fois fiscalement et par certaines sociétés de gestion !

Attiré par le potentiel des actions japonaises, j'investis. Quelques mois après, curieux de connaître les frais réellement facturés, je consulte le DICI, qui m'indique que la gestion de la part C a coûté 4,57% pour la partie fixe. Si l'on se rappelle que les frais de gestion fixes sont au plus de 2% et que l'on suppose que ce soit le montant effectivement prélevé par la société de gestion, la différence entre le TFE de 4,57% et les 2% de frais de gestion fixe, à savoir 2,57%, est donc le montant théorique minimum des commissions de mouvement. C'est beaucoup trop, d'autant que j'ai investi en pensant naïvement que cette gestion me coûterait 2% au plus.

Pas très étonnant que le fonds n'ait perçu que 0,01% de commission de surperformance : il est parti avec un handicap de 4,57% sur l'indice de référence, difficile à surmonter. Mais si, au lieu de prélever des commissions de mouvement, il avait dû se contenter de la commission de surperformance, il aurait fallu une surperformance de 12,85% par rapport à son indice de référence pour obtenir une rémunération supplémentaire de 2,57%. Mission impossible, il est évidemment plus "sûr" d'utiliser les commissions de mouvement pour améliorer l'ordinaire de la société de gestion aux dépens du porteur du part.

Si l'on a ensuite la curiosité de consulter le dernier reporting de ce fonds (disponible sur le site de la société de gestion le 3 février 2014), une nouvelle surprise nous attend : les frais de gestion "réels" du fonds sont de 2%  alors que nous avons vu dans le DICI que les vrais frais de gestion "réels" étaient de 4,57% !

On voit qu'il existe encore un potentiel d'amélioration de la transparence des informations fournies aux investisseurs. A ce titre, nous reviendrons dans un article prochain sur d'autres abus en matière de transparence sur les frais.

 

Recherchez les frais avec Quantalys

Le moteur de recherche de fonds Quantalys, dans sa partie Caractéristiques générales et Frais, vous permet de faire des recherche sur différents niveaux de frais. Pour travailler sur les frais réels, utilisez les frais courants (les frais mentionnés dans le champ Frais de gestion étant ceux du prospectus, dont nous avons vu qu'ils pouvaient être très inférieurs à ceux effectivement facturés).

Le résultat de votre recherche s'affiche dans un tableau à plusieurs onglets, dont un onglet Frais. Les frais courants apparaissent à gauche du tableau et, comme tous les éléments, sont triables par ordres croissant et décroissant.

Comprenez et surveillez les frais

Les frais rémunèrent le travail d'un acteur professionnel, la société de gestion, à laquelle un investisseur confie une partie de la gestion de ses avoirs.

Cette rémunération est légitime, mais il est du devoir de l'investisseur d'en tenir compte pour prendre une décision d'investissement informée.

Il existe un petit nombre d'acteurs ayant la main très lourde en matière de frais pour tout ou partie de leurs fonds, notamment par le recours aux commissions de mouvement. Il est facile de repérer ces acteurs et d'engager un diaiogue avec eux. Si le dialogue est infructueux, l'investisseur a tout loisir de vendre ou ne pas investir dans leurs produits.

Voici un rappel visuel de la décomposition des frais venant en déduction de la performance d'un fonds et déduits de sa valeur liquidative.

Nous reviendrons dans une analyse prochaine sur les ordres de grandeur en matière de frais de gestion par type de fonds.

Faisons un rêve

Début 2015, l'AMF impose aux sociétés de gestion de mentionner dans tous leurs documents commerciaux le dernier TFE des fonds en plus des frais de gestion théoriques du prospectus.

Début 2016, l'AMF interdit les commissions de mouvement.

Cela rendrait un peu de pouvoir d'achat aux investisseurs, thématique d'actualité pour le législateur dans les secteurs comme celui de l'optique, pourquoi pas dans celui des services financiers ?

Philippe Maupas , CFA, CAIA, CIPM, est co-fondateur de Quantalys et éditorialiste.