Trois raisons pour lesquelles le resserrement monétaire de la Fed n'a pas entrainé de récession aux Etats-Unis

Publié le 18/09/2023 - CPR Asset Management
Alors que la quasi-totalité des observateurs s’attendait à ce que le resserrement monétaire de la Fed (le plus fort depuis 40 ans) provoque une récession aux États-Unis, cette dernière ne s’est pas (encore) produite. On peut évoquer trois grandes raisons pour cela.

Alors que la quasi-totalité des observateurs s’attendait à ce que le resserrement monétaire de la Fed (le plus fort depuis 40 ans) provoque une récession aux États-Unis, cette dernière ne s’est pas (encore) produite. On peut évoquer trois grandes raisons pour cela.

RAISON N°1 : le resserrement monétaire de 2022/2023 suit l’assouplissement monétaire puissant de 2020/2021, qui continue de produire ses effets.

Selon l’expression célèbre de Milton Friedman1, fréquemment reprise par les banquiers centraux, « les changements monétaires ne produisent leurs effets qu’après un retard considérable et sur une période longue et ce retard est variable. » Les modèles économétriques des banques centrales concluent généralement que les effets des changements de taux directeurs se font sentir sur l’économie avec un retard de 12 à 18 mois. Christine Lagarde a même évoqué récemment un retard de 18 à 24 mois. En conséquence, le plus fort du resserrement monétaire de la Fed ayant eu lieu au 2ème semestre 2022, ses effets négatifs sur l’économie devraient surtout se faire sentir au 2ème semestre 2023 et au début de l’année 2024.

S’il est attendu que les effets du resserrement monétaire de la Fed sur l’économie se produisent avec retard, ceux-ci sont (au moins temporairement) atténués par le très fort assouplissement monétaire de 2020/2021. En effet, la Fed avait brutalement baissé ses taux directeurs de 150 bps en mars 2020, au début de la crise COVID, et procédé à une opération massive de QE : il convient de souligner que la Fed achetait encore des titres du Trésor et des MBS au début de l’année 2022 ! L’une des grandes conséquences de cette politique d’assouplissement a été une vague de refinancement de crédits immobiliers, très importante dans son ampleur et dans sa durée. Des millions de ménages ont ainsi refinancé leurs crédits immobiliers à des taux fixes très bas en 2020 et 2021. Le resserrement monétaire de 2022 et 2023 a donc des effets très limités sur ces derniers, la principale conséquence étant qu’ils ont une forte incitation à ne pas déménager (vendre leur logement actuel pour en acheter un autre impliquerait de souscrire un crédit à des taux d’intérêt bien plus élevés).

Enfin, le fort assouplissement monétaire de 2020 et 2021, couplé à d’autres facteurs, a contribué à une forte augmentation du patrimoine des ménages (immobilier, actions). Les effets « richesse » ont été durables car les prix de l’immobilier n’ont que très peu baissé et car les marchés actions sont bien plus hauts qu’avant la crise COVID.
Les effets du resserrement monétaire de 2022 et 2023 sont plus largement émoussés par l’assouplissement de 2020 et 2021.

RAISON N°2 : le durcissement monétaire est contrecarré par une politique budgétaire largement expansionniste.

S’il est attendu que le durcissement monétaire pèse sur l’activité, la politique budgétaire américaine soutient cette dernière. Les deux premières années de la présidence Biden ont été marquées par au moins trois plans d’investissement très ambitieux :

  • Le plan d’infrastructures bipartisan (Infrastructure Investment and Jobs Acts, IIJA), adopté en novembre 2021, pour lequel a été effectué un chiffrage de 550 Mds $ de nouvelles dépenses sur 5 ans,
  • Le plan de décarbonation de l’économie (Inflation Reduction Act, IRA), adopté à l’été 2022, pour lequel a été effectué un chiffrage d’environ 440 Mds $ de nouvelles dépenses (certaines estimations sont trois fois supérieures…),
  • Le plan d’investissement dans les semiconducteurs (CHIPS and science Act), adopté à l’été 2022, pour lequel a été effectué un chiffrage de 280 Mds $ de nouvelles dépenses sur 10 ans.

Certaines des estimations des dépenses occasionnées par ces programmes sont incertaines, notamment car certains crédits d’impôts instaurés ne sont pas plafonnés, et il est donc difficile d’avoir une idée précise de l’impact de ces plans sur la croissance. Toutefois, on ne peut que constater que l’investissement en structures industrielles a très fortement augmenté : en effet, il a cru de 63 % en termes réels sur les 12 derniers mois ! La contribution de l’investissement dans les sites de production industriels dépasse 0,4 point sur les 2,1 % de croissance au T2 : surtout, cette contribution a crû régulièrement au fil des derniers trimestres. En particulier, les investissements ont été forts récemment dans les secteurs informatiques, électroniques et électriques. Par exemple, les investissements dans les semi-conducteurs ont été stimulées par les incitations du CHIPS Act et les investissements dans le secteur électrique ont été stimulées par les crédits d’impôt de l’Inflation Reduction Act. Au passage, ces développements illustrent à quel point les investissements dans les thèmes de long terme (transition énergétique, souveraineté économique par exemple) peuvent soutenir la croissance économique d’aujourd’hui.

Un autre soutien aux ménages est venu de la suspension du remboursement de la dette étudiante depuis mars 2020, qui prendra fin en septembre (intérêts) et octobre 2023 (principal). Ce dispositif aura préservé le pouvoir d’achat de dizaines de millions de ménages pendant 3 ans et demi et aura coûté des centaines de milliards de dollars. La reprise du remboursement de la dette étudiante grèvera mécaniquement le pouvoir d’achat.

Par ailleurs, les versements du programme Social Security (pension de retraite publique et allocations pour les handicapés) ont augmenté de 8,7 % en janvier, soit la plus forte hausse depuis 40 ans. Cela a permis de préserver le pouvoir d’achat des bénéficiaires (plus de 65 millions de personnes). De manière plus générale, le vieillissement de la population (pensions publiques, frais de santé) a mis le déficit public sur une tendance haussière avant même la crise covid. Cela a soutenu en toile de fond la croissance  américaine sur les dix dernières années.

RAISON N°3 : le durcissement monétaire est contrecarré par un excès d’épargne inédit.

Une autre grande raison pour laquelle le durcissement brutal de la politique monétaire n’a pas encore mené à une récession est que les ménages disposaient d’un excès d’épargne considérable accumulé pendant la crise COVID. En théorie, le relèvement des taux d’intérêt durcit les conditions d’emprunt : les banques commerciales sont plus réticentes à prêter et les ménages sont plus réticents à emprunter, ce qui est censé affaiblir la consommation puisqu’une fraction de la consommation des ménages se fait à crédit. Ce canal a beaucoup moins bien marché sur ce cycle que dans le passé car les ménages avaient en moyenne beaucoup moins besoin d’emprunter…puisqu’ils avaient accumulé de grandes quantités d’épargne en 2020 et 2021. L’utilisation de cet excès d’épargne a permis de faire face à une forte hausse de l’inflation sans accroc économique majeur. Par construction, les estimations sont imprécises mais on peut estimer que cet excès d’épargne avait atteint un pic de 2100 Mds $ (vers la fin de l’année 2021) et qu’il en subsistait encore 500 Mds $ en juillet 2023. Plus le temps passe, plus l’excès d’épargne va continuer à fondre et plus le canal traditionnel de transmission de la politique monétaire via les taux d’intérêt va fonctionner comme attendu en théorie : les ménages devront alors ajuster leur consommation à leurs revenus.

Malgré le resserrement monétaire brutal de la Fed (le plus fort depuis 40 ans), il n’y a pas eu de récession (pour le moment) aux États-Unis. Trois grandes raisons permettent de l’expliquer :

  • Le resserrement monétaire brutal suit un assouplissement monétaire tout aussi brutal, qui continue de produire ses effets,
  • Le resserrement monétaire est contrecarré par une politique budgétaire particulièrement expansionniste,
  • L’excès d’épargne constitué pendant la crise covid retarde la transmission classique de la politique monétaire via les taux d’intérêt.

Un certain nombre de soutiens à la croissance vont progressivement disparaître : les effets de l’assouplissement monétaire de 2020/2021 vont progressivement s’estomper, le remboursement de la dette étudiante va reprendre, les discussions à venir sur le budget devraient être tendues, l’excès d’épargne devrait s’épuiser d’ici la fin de l’année.

1. Milton Friedman, 1960, « A program for monetary stability »

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