Que vont devenir les 200 milliards de surplus d’épargne accumulés pendant la crise ?

Publié le 18/12/2020 - Jean-François Bay
Un surplus d’épargne comme source d’opportunités pour la profession

Lorsque nous avons posé la question aux professionnels de la gestion de patrimoine au mois de novembre dernier sur les perspectives 2021, beaucoup semblaient confiants et mettaient en avant quatre facteurs principaux de soutien de leur activité patrimoniale : En premier, à 82% des répondants, le fait que leurs clients disposent d’une épargne financière abondante. Venait ensuite les plans de relance des gouvernants (de tous les pays), la perspective d’une hausse des marchés et enfin le fait que les taux d’intérêt resteront très bas très longtemps encore. (pour télécharger les résultats complets de cette enquête, cliquez ici).



On le voit bien, pendant cette crise sanitaire, les aides publiques mises en place pour sauvegarder le niveau de vie des agents économiques d’un côté et le faible niveau des dépenses de l’autre sont venus grossir artificiellement le niveau de l’épargne ou de la trésorerie de ces agents, et des ménages français en particulier.

Un taux d’épargne qui n’est pas prêt de baisser et qui déboucherait sur un stock de 200 milliards de capitaux supplémentaires

Dans ses dernières projections macroéconomiques de Décembre 2020 publiées le 17/12/2020, les économistes de la Banque de France tablent sur un surplus d’épargne de 200 milliards € au total lié aux différents confinements.

https://publications.banque-france.fr/projections-macroeconomiques-decembre-2020

En effet, pendant ces différents confinements, la réduction contrainte de la consommation des ménages se traduirait, comme au printemps 2020, par un nouveau pic de taux d’épargne au quatrième trimestre 2020. Fin 2020, le surplus d’épargne financière, en écart à un scénario tendanciel, serait de l’ordre de 130 milliards d’euros. Les ménages mettraient encore de côté 70 milliards d'euros en 2021 face aux craintes sanitaires et aux mesures de restrictions. Le surcroît d'épargne atteindrait donc 200 milliards d'euros sur deux ans.

Au cours de l’année 2021, la reprise de la consommation des ménages serait étroitement liée aux conditions sanitaires. Leur amélioration progressive permettrait une nette remontée des dépenses des ménages, en particulier à partir de la fin de l’année. En miroir, leur taux d’épargne baisserait progressivement (de 26% en 2020 à 18%), même s’il demeurerait toujours en fin d’année au-dessus de son niveau d’avant-crise (14% avant la crise).

 

La plupart des économistes ne s’attendent pas à un rebond de la consommation sur 2021 lié à l’utilisation de ce surplus d’épargne. D’une part parce que la crise sanitaire resterait présente. D’autre part, parce que ce surplus d’épargne n’est pas entre les mains des consommateurs potentiels.
 
Ce surplus d’épargne est surtout entre les mains des plus riches, peu enclins à consommer
 
Ce phénomène d’explosion de l’épargne de précaution, dans une crise sanitaire qui touche tous les pays, est forcément mondial. Bastien Drut, stratégiste sénior chez CPR AM, considère que l’accumulation d’épargne par les ménages américains atteindra près de 3000 milliards USD sur 2020, soit un surplus d’épargne par rapport aux années précédentes estimé à environ 1500 milliards USD. 
 
Mais l’analyse détaillée de la répartition de l’épargne par groupe de population et par support indique que ce surplus d’épargne ne se transformera pas en consommation dans l’économie réelle mais sera dirigée vraisemblablement vers les marchés financiers :
  • Premier point : Aux Etats-Unis, en première approximation, l’essentiel de l’épargne accumulée s’est retrouvé sous 2 formes : dépôts bancaires surtout mais aussi fonds monétaires. On retrouve ici une bonne partie de l’explication de la très forte augmentation de la masse monétaire, qui a beaucoup fait parler cette année.
  • Deuxième point : Ce sont les 10 % les plus riches qui ont accumulé les deux tiers de cette épargne du premier semestre 2020. Mais ces 10% avec les revenus les plus élevés ne représentent « que » 23% de la consommation totale en règle générale.
  • Troisième point : L’épargne accumulée au 1er semestre par les 10% les plus riches représente l’équivalent de 40% de leur consommation annuelle 2019, mais seulement 8% de la consommation annuelle 2019 pour les 40% suivants et 2% de la consommation annuelle 2019 pour les 50% les plus pauvres. En d’autres termes, pour 90% des américains, l’épargne accumulée ne pourrait stimuler la consommation qu’à la marge. 
  • Quatrième point : Il est très probable que l’épargne accumulée constitue un fort soutien pour les marchés d’actifs risqués sur les mois qui arrivent. En effet, si la première moitié de l’année a constitué une phase d’épargne largement concentrée sur les dépôts bancaires et sur les fonds monétaires, des données plus récentes indiquent :
               
    • Que les dépôts bancaires n’ont pas baissé sur les derniers mois/dernières semaines,
                    
    • En revanche, les actifs sous gestion des fonds monétaires ont commencé leur décrue en juin.
               
    • Cette décrue s’est poursuivie, sur un rythme de 18 Mds $ par semaine en moyenne !
 
Conclusion :
 
L’épargne accumulée par les ménages, français ou américains, stimulera la consommation en 2021 mais sans doute de manière limitée comme nous l’indiquent les projections de la Banque de France ou de CPR AM.
 
Concentrée sur les ménages les plus riches, cette épargne ne devrait stimuler qu’à la marge la consommation et l’économie réelle sur 2021. En revanche, elle devrait rester un moment encore dans les coffres-forts en attente. Ensuite, avec la mise en place des plans de vaccination, à partir de fin 2021, ces stocks devraient entamer une décrue et ruisseler vers les actifs financiers.
 
En effet, avec la visibilité apportée par les vaccins, les ménages les plus aisés devraient continuer à changer leurs allocations d’actifs en quittant les produits financiers les plus liquides (dépôts à vue, livrets, fonds euros, fonds monétaires…) pour se tourner vers des investissements plus risqués et plus long terme (fonds actions, immobilier, fonds de retraite…).
Jean-François Bay , Directeur Général, Développement international.