Risques climatiques : Le prochain choc pour les assureurs et pour les marchés financiers ?

Publié le 28/05/2024 - Groupe Quantalys
Après un premier exercice pilote mené en 2020 auprès du secteur de la banque-assurance, un nouveau stress-test climatique a été réalisé par l’ACPR auprès des seuls organismes d'assurance pour mesurer l'impact du dérèglement climatique à l'horizon 2050 et dont les résultats ont été divulgués fin mai. Ce deuxième stress-test montre que, dans l'ensemble, les assureurs sous-estiment fortement les impacts potentiels du changement climatique sur leur stabilité financière, notamment les risques de solvabilité à court terme et d'inassurabilité à plus long terme. Explications

 

 

  1. Un deuxième stress-test climatique

Dans la continuité de l’exercice pilote conduit en 2020 auprès du secteur de la banque-assurance et dont les résultats avaient été publiés 2021, l’ACPR a mené un second exercice de stress-test climatique qui s’est déroulé sur la période 2022-2024. Ce nouveau stress-test climatique de l'ACPR a été réalisé auprès des seuls organismes d'assurance pour mesurer l'impact du dérèglement climatique à l'horizon 2050. Ce deuxième stress a été réalisé pour tester l'impact de trois scénarios associant risques physiques (canicule, montée des eaux, inondations…) et de risques de transition :

  • un scénario de court terme (2027), s'appuyant sur la récurrence d'épisodes de sécheresse en2022, 2023 et 2024, suivis par un épisode de tempête sévère et localisée, conduisant à de fortes inondations et provocant un évènement exceptionnel tel que la rupture d'un barrage hydraulique en 2025.

 

  • deux scénarios de long terme, à l'horizon 2050, issus des scénarios du NGFS (Network for Greening the Financial System) : l'un optimiste, dit de transition ordonnée, l'autre pessimiste, de transition désordonnée;

 

  1. Des impacts sur le passif et les risques couverts

Selon ces trois scénarios, la sinistralité en matière de catastrophes naturelles augmenterait significativement en France entre 2022 et 2050 : +105% dans le scénario le plus pessimiste, et +42% dans le scénario "de référence". Les primes s'apprécieraient pour leur part respectivement de 158% et de 127%. En santé-prévoyance par exemple, la sinistralité liée à la pollution et aux maladies vectorielles augmenterait de 89% dans le scénario adverse et de 11% dans le scénario de référence.

Il est intéressant de noter que ce stress-test climatique révèle de fortes disparités géographiques pour les risques climatiques comme la sécheresse, la submersion et les inondations, et donc en fonction des parts de marché des différents assureurs en région. Les sinistres liés aux catastrophes naturelles pourraient augmenter de deux à cinq fois dans les départements les plus touchés, conduisant à une augmentation des primes de 130 à 200% sur 30 ans pour couvrir ces pertes.

Mesuré pour la première fois, les assureurs estiment que le risque d’inassurabilité serait très différent géographiquement et prévoient de mettre en place des dispositifs internes d'aide aux assurés pour lutter contre les conséquences physiques du changement climatique et leur coût. Le régulateur préconise l’utilisation systématique de diagnostic afin d’informer les différents assurés. Certains assureurs appliquent déjà des politiques tarifaires dépendantes des risques encourus ainsi que de possibles exclusions en fonction du périmètre géographique. Ces résultats confirment la pertinence de la réflexion engagée autour du régime de catastrophes naturelles en France et l'importance des politiques d'adaptation au changement climatique, note l'ACPR.

Dans le cadre des scénarios de long terme, les assureurs ont cependant eu un recours assez limité à des actions de gestion (telles que par exemple des réallocations géographiques voire l’arrêt des politiques dans les zones les plus exposées, ou un changement de structure de leur bilan) pour atténuer les impacts des scénarios adverses. Selon nos résultats, entre 2022 et 2050, la dégradation de la sinistralité résulterait, pour un peu plus de la moitié de l’augmentation des risques physiques et, pour le reste, de l’inflation et l’augmentation des valeurs assurées.

 

  1. Des impacts aussi sur l’actif et les placements

Dans ce contexte, les placements liés aux activités fossiles et à l'immobilier subiraient les plus fortes pertes de valeur à l'horizon 2050. Malheureusement, comme le note le rapport de l’ACPR, les assureurs participants à cette étude envisageraient peu de réallocations de leur portefeuille.

Pourtant, l'horizon de long terme est celui qui pose le plus de difficultés aux assureurs, rapporte l'ACPR. Du fait d'actions tardives et limitées face au réchauffement climatique, qui dépend des gaz à effet de serre déjà accumulés au cours des 20-25 dernières années, le climat des deux prochaines décennies est en partie déjà déterminé. Ce sont donc les choix de portefeuilles présents, et non ceux réalisés dans 30 ans, qui conditionnent la trajectoire du climat dans la seconde partie du siècle.

Le choc financier se répercute quant à lui directement sur la valeur économique des placements à l’actif du bilan des assureurs. En particulier les actions et actifs immobiliers voient leur valeur diminuer respectivement de 27 % et 32 % en 2025 dans le scénario adverse par rapport au scénario de référence. Du fait des effets de contagion, les obligations d’État et d’entreprises perdent quant à elles en moyenne 8 % de leur valeur. Au total la perte de valeur des placements est de l’ordre de 13 % en 2025.

Ces variations se répercutent de façon cohérente sur les parts relatives de chaque classe d’actifs dans le temps et par scénario. Les obligations souveraines et d’entreprises étant proportionnellement moins touchées, leur part relative augmente dans le bilan des assureurs tandis que la part des actions et de l’immobilier diminue de façon relativement marquée.

Dans le scénario à court terme, la prise de conscience se traduit par un ajustement brutal des marchés et des pertes de valeurs des actifs financiers, en particulier les actifs dits « bruns » ou comme l’immobilier, dans une logique d’actifs échoués (stranded assets). Ce choc financier intègre en outre des mécanismes de contagion, conformes à ceux observés lors des épisodes précédents de tensions financières, affectant l’intégralité du portefeuille des assureurs jusqu’en 2027.

Pour le scénario à long terme, au niveau des placements, et en cohérence avec les scénarios proposés, les actifs liés aux activités fossiles et à l’immobilier subissent les plus fortes pertes de valeur à l’horizon 2050. Pour autant, ces effets ne semblent pas bizarrement conduire les assureurs participants à procéder à des réallocations de portefeuille !

  1. Une distinction par classe d’actifs

Les actions sont les actifs les plus touchés dans le scénario de court terme, conformément aux chocs prévus dans les spécifications techniques. Les baisses les plus importantes en 2025 touchent les secteurs Industry et Utilities (-35 %), ainsi que le secteur Basic Materials (-33 %). Des secteurs comme la Tech ou la Consommation seraient moins impactés.

En 2025, les obligations d’entreprises affichent des baisses diverses selon les secteurs, conformément aux chocs définis dans les hypothèses du scénario adverse. Ainsi, les secteurs Energy et Basic Materials apparaissent les plus touchés, avec des chutes d’environ 11 % de la valeur par rapport au scénario de référence en 2025. Les secteurs Technology et Industrial sont également durement affectés (respectivement -10 % et -9 %), tandis que les secteurs financiers sont moins impactés (les banques et autres institutions financières perdent 7 % de valeur en 2025 par rapport au scénario de référence).

 

  1. Encore des efforts à faire

Que ce soit à court ou à long terme, les résultats de ce second stress-test climatique montrent une exposition significative des organismes d'assurance à des chocs liés au changement climatique, qui confirment la nécessité d’une prise en compte rapide de leur part à la fois dans leur stratégie, leur gouvernance, et leurs modèles internes.

Les assureurs doivent donc poursuivre leurs efforts non seulement pour respecter les engagements pris en 2019 en faveur de la lutte contre le changement climatique et l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, mais également pour engager des mesures de gestion de leurs actifs et et leurs passifs permettant de faire face aux conséquences anticipées des risques extrêmes sur leur sinistralité et sur leurs actifs financiers.

Dans son rapport, l’ACPR appelle à poursuivre les efforts entamés sur plusieurs plans :

  • Renforcer la capacité des assureurs à anticiper les impacts du changement climatique et à adapter leurs stratégies en conséquence
  • Améliorer les outils d’analyse à la disposition des compagnies d’assurance et du superviseur
  • Explorer de nouvelles dimensions de l’évaluation des risques
  • Anticiper la réaction des assurés face aux augmentations potentielles des tarifs, afin de prendre en compte de façon quantitative le risque d’inassurabilité

 

Pour télécharger le rapport complet :

https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/20240523_rapport_final_st_climat_vf.pdf

Pour accéder aux scénarios du NGFS :

https://www.ngfs.net/node/553173

Pour aller plus loin :

https://www.climatecentral.org/

https://www.callendar.tech

https://consequences-france.org/

https://www.banque-france.fr/fr/espace-presse/communiques-de-presse/la-banque-de-france-mettra-disposition-des-entreprises-son-indicateur-climat

Groupe Quantalys Société.