Pourquoi les risques environnementaux sont devenus un enjeu prudentiel ?
Solvabilité 2, la règlementation européenne qui encadre les exigences de capital et la gouvernance des assureurs, a amorcé depuis 2022 une prise en compte progressive des risques environnementaux — d’abord climatiques, et désormais élargis à la biodiversité.
La biodiversité garantit la fourniture de services écosystémiques, dont de nombreuses industries dépendent fortement ou sur lesquels elles ont un impact direct. Par conséquent, la perte de biodiversité représente un risque multidimensionnel pour les assureurs, pouvant affecter, entre autres, la valeur des investissements détenus ou l'intensité et la fréquence des pertes assurées :
En tant qu’investisseurs, ils détiennent des portefeuilles massivement exposés à des secteurs sensibles à la transition (énergies fossiles, agriculture intensive, immobilier peu efficient…), ou dépendants des écosystèmes (agroalimentaire, tourisme, matériaux).
En tant qu’assureurs, ils couvrent des risques physiques qui s’intensifient avec le dérèglement climatique et la perte de biodiversité (catastrophes naturelles, sécheresses, inondations, pandémies…).
En synthèse, ce qui fragilise le climat et les écosystèmes fragilise aussi les bilans et finit par peser sur la solvabilité.
Climat : un cadre déjà en place et qui s’étoffe
Le climat a ouvert la voie. Depuis août 2022, les assureurs européens doivent intégrer les risques liés au changement climatique dans leur ORSA1. Cette exigence s’appuie sur des lignes directrices de l’EIOPA, qui insistent sur deux piliers :
L’analyse de la matérialité des risques climatiques pour chaque entité (transition et physiques),
L’élaboration de scénarios prospectifs cohérents avec les trajectoires de transition (par exemple, les scénarios NGFS2).
En pratique, les assureurs doivent identifier les segments d’actifs et de passifs sensibles à des variables climatiques, puis tester leur résilience dans des hypothèses de transition ordonnée ou désordonnée.
Depuis, la pression réglementaire s’est renforcée et l’EIOPA a été mandatée par la Commission Européenne pour proposer des amendements afin d’intégrer plus précisément les risques climatiques dans le calcul des exigences en capital des assureurs. Fin 2023, l’EIOPA a proposé :
L’introduction de chocs de capital spécifiques pour les expositions aux énergies fossiles, afin de refléter leur risque de transition élevé : le SCR3 Action passe de 39% à 56% et le SCR Spread est majoré de 40% pour les émetteurs fossiles (identification selon les codes NACE sur les activités fossiles).
L’introduction obligatoire de 2 scénarios de risques climatiques dans l’ORSA pour les entités exposées à des risques climatiques matériels : un scénario dans lequel l’augmentation des températures reste en dessous de 2°C, et un scénario dans lequel l’augmentation des températures dépasse significativement les 2°C, avec dans les 2 cas une analyse d’impact à court (1 à 5 ans), moyen (5 à 15 ans) et long termes (supérieur à 15 ans).
On passe d’un cadre principalement déclaratif à une approche plus normative, qui pourrait à terme impacter directement les exigences de capital. Les propositions de l’EIOPA ont été soumises à la Commission Européenne, qui décidera de leur application, le cas échéant en 2027.