La lettre de Warren Buffett

Publié le 10/03/2014 - Philippe Maupas
Dans sa lettre aux actionnaires, Buffett fait l'apologie de la gestion indicielle

Warren Buffett, légende vivante de l'investissement âgée de 83 ans, a débuté sa carrière au début des années 1950 et a travaillé entre 1952 et 1954 pour Benjamin Graham, auteur avec David L. Dodd de la bible des investisseurs Value, Security Analysis (1934), ainsi que, en solo, The Intelligent Investor (1949), également porté au pinacle par les investisseurs Value.

Berkshire Hathaway (BH) est une société cotée en bourse (capitalisation boursière au 7 mars 2014 de 302,32 milliards de dollars) dont l'assemblée générale annuelle se tient à Omaha, dans le Nebraska, siège de BH. Buffett, qui en est le chairman et CEO, rédige depuis des années une lettre annuelle présentant les résultats de la société attendue avec impatience par tous les commentateurs financiers et les investisseurs. 

En sus des commentaires sur les différentes participations de BH, Buffett y distille également des commentaires plus généraux, dont voici un florilège pour la dernière édition, relative à l'exercice 2013 de Berkshire Hathaway.

Quelques pensées sur l'investissement

Le chapitre intitulé "Some thoughts on investing" (page 17 de la lettre aux investisseurs) donne l'occasion à Buffett de rappeler quelques principes cardinaux.

Il n'est pas nécessaire d'être un expert pour faire des investissements réussis : il faut connaître ses limites et savoir dire non à quelqu'un qui vous promet des profits rapides.

Il est essentiel de pouvoir évaluer la productivité future de l'actif dans lequel vous investissez. Si vous n'y arrivez pas, n'investissez pas. Dès lors qu'on se concentre sur la variation de prix attendue pour un investissement donné, on spécule, ce qui n'est pas mal en soi, mais ne peut être couronné de succès sur la durée. D'autre part, le fait qu'un actif se soit apprécié en prix récemment n'est jamais une bonne raison pour l'acheter.

Et Buffett de rappeler que les matchs se gagnent sur le terrain, pas en gardant l'oeil rivé au tableau de score : il ne faut pas être obsédé par le cours d'un actif coté. Si vous êtes capables de ne pas suivre le cours des actions le week-end faute de cotations, vous devriez essayer de le faire du lundi ou vendredi.

Buffett considère qu'essayer de se forger une opinion sur la macro-économie directement, ou en écoutant les prévisions des spécialistes est une perte de temps, voire dangereux, parce que les commentaires macro-économiques peuvent empêcher de voir les faits vraiment importants. Il professe en outre un mépris souverain pour les commentaires boursiers des "pundits" (les experts les plus visibles et présents dans les médias financiers) qui incitent à toujours acheter ou vendre.

Quid des non-professionnels ?

Tout le monde n'est pas capable d'estimer la capacité d'un actif à générer un cash flow : c'est le cas de la quasi totalité des non-professionnels de l'investissement. Selon Buffett, ces derniers n'ont pas de souci à se faire : la bourse américaine a enregistré des performances époustouflantes au 20ème siècle, et il en sera de même au 21ème siècle, avec des à-coups qu'il faut savoir accepter.

Le chemin à suivre pour le profane de l'investissement n'est pas de sélectionner les gagnants (il en est incapable, et les professionnels de l'investissement qui pourraient le conseiller en sont incapables aussi), mais de s'exposer à un portefeuille diversifié de valeurs : Buffett considère qu'un fonds indiciel faiblement chargé en frais fera parfaitement l'affaire ("a low-cost S&P 500 index fund will achieve this goal", page 20).

Buffett rappelle que le pire des comportements pour l'investisseur est d'acheter après une longue hausse et, à la première crise, de paniquer et vendre à perte : selon lui, l'antidote est d'acheter régulièrement  et de ne jamais vendre quand les nouvelles sont mauvaises et la valeur loin de ses plus-hauts. Il invite également les investisseurs à ne pas écouter les conseils des institutions ayant intérêt à leur faire faire des transactions : "ignorez le bla-bla [et] maintenez les coûts au plus bas niveau".

Et Buffett de conclure en détaillant les instructions qu'il laisse au responsable du trust dont sa femme sera bénéficiaire après sa mort (il rappelle incidemment que toutes ses actions BH seront distribuées à des organisations philanthropiques après sa mort) pour placer le cash qui alimentera le trust : 10% dans des obligations d'Etat court terme et 90% dans un fonds indiciel faiblement chargé en frais répliquant l'indice S&P 500 (Buffett suggère un fonds Vanguard, le géant mutualiste de la gestion d'actifs indicielle aux Etats-Unis).

Buffett estime que les résultats de long terme d'une telle allocation seront supérieurs à ceux des investisseurs utilisant des fonds de gérants actifs à frais de gestion élevés, que ces investisseurs soient des fonds de pension, des institutions ou des particuliers ("I believe the trust’s long-term results from this policy will be superior to those attained by most investors – whether pension funds, institutions or individuals – who employ high-fee managers").

Vérité au-delà de l'Atlantique, vérité de ce côté-ci ?

La plupart des conseils de Buffett relatifs à l'investissement ont une portée universelle : acheter ce que l'on comprend, se concentrer sur l'évaluation de la capacité de l'actif sous-jacent à générer un cash-flow, ne pas regarder les cours et s'abstraire de la masse des commentaires incitant à effectuer des transactions pour le profit souvent exclusif des intermédiaires. Hélas, l'investisseur en actions se fait de plus en plus rare en France.

En revanche, nous sommes tous des retraités en puissance et il importe, quand on le peut financièrement, d'investir le plus tôt possible pour compenser la baisse inéluctable des pensions de retraite. Les conseils de Buffett s'appliquent donc évidemment aussi en France et concernent des millions de personnes (notamment les détenteurs d'un contrat d'assurance vie, qui sont plus de 13 millions).

Même si on peut ne pas suivre Buffett dans sa suggestion d'une allocation d'actifs composée à 90% d'actions et à 10% d'obligations d'Etat court terme (encore que, sur un horizon supérieur à 15 qui n'est pas exceptionnel dans le cadre d'une préparation à la retraite, ce soit probablement une bonne répartition), l'allocation globale dans les contrats d'assurance vie est à des années-lumières de permettre une revalorisation régulière et suffisante de l'épargne : sur les 1462 milliards d'encours à fin 2013, le poids du fonds en euro est de 83,3%, celui des unités de compte de 16,7%.

Ce n'est évidemment pas avec le taux de revalorisation annuel moyen très bas des fonds en euro depuis des années (3% en moyenne en 2011, 2,9% en 2012 et 3% - estimation - en 2013) que le bas de laine des futurs retraités sera de taille à faire face à la baisse des revenus.

Nous sommes donc face à un bassin d'épargne gigantesque et mal alloué : défi(s) considérable(s) pour les intermédiaires financiers.

Premier défi : réallouer une partie des sommes placées sur le fonds en euro vers les unités de compte.

Deuxième défi : affecter les sommes arbitrées vers les "bonnes" unités de compte. Faut-il suivre le conseil de Buffett et choisir des fonds indiciels ? Pas facile : très peu de contrats d'assurance vie y donnent accès, parce que les frais de gestion de ces fonds sont peu élevés et ne suffisent pas à rémunérer les intermédiaires, auxquels l'assureur reverse une partie des rétrocessions qui lui sont versées par les sociétés de gestion.

Les intermédiaires vont donc devoir conseiller leurs clients et les convaincre de transférer une partie des avoirs du fonds en euro vers des unités de compte ; les conseiller sur le choix des unités de compte ; s'assurer que les frais de ces unités de compte sont compatibles avec une espérance de gain supérieure à celle du fonds en euro, compte tenu des frais de gestion du contrat. Du travail en perspective.

Philippe Maupas , CFA, CAIA, CIPM, est co-fondateur de Quantalys et éditorialiste.